Collecte expérimentale des biodéchets et compostage de proximité à Rennu, Corse du Sud

L’enjeu du tri à la source et de la collecte séparée des déchets alimentaires est capital pour une bonne gestion des déchets. De jeunes scouts et des étudiants, en mission estivale pour Zeru Frazu, ont réalisé et analysé cette expérience dans un village corse.

Genèse du projet

Une troupe de Scouts et Guides de France d’Annonay en Ardèche a pris contact en mars 2021 avec l’Associu Zeru Frazu, impliquée dans la stratégie de réduction des déchets (ménagers surtout), dans le but d’effectuer une mission au sein d’une association environnementale lors de son camp d’été en Corse.

Le tri à la source des biodéchets (déchets de préparation de cuisine et déchets de repas) devenant obligatoire à partir de fin 2023 (Loi AGEC du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire), Zeru Frazu a rapidement porté son choix sur une collecte en porte à porte des déchets organiques essentiellement. Elle a sollicité trois partenaires directement concernés par cette action dans le but de sensibiliser la population au traitement séparé des déchets alimentaires, humides et lourds, qui peuvent être compostés :

  • L’associu Si Pò Fà (« On peut le faire »)

L’objet social de l’association Si Pò Fà, située au village de Rennu (Renno), comporte  outre les activités culturelles et de loisirs,  des actions en faveur de l’environnement. Elle a créé notamment une recyclerie et dispose d’un composteur partagé qu’elle a construit dans la cour de son local à U Ponte.

Sensible et favorable à l’action de Si Pò Fà,  la commune de Rennu, membre de la communauté de communes de Spelunca-Liamone,  s’est dite aussitôt très intéressée par le projet proposé aux scouts et a apporté son aide efficace.

Depuis fin 2020 la communauté de communes compétente en matière de collecte a débuté la collecte en porte à porte des déchets triés et des résiduels dans le village de Letia (proche de Rennu) et l’étend progressivement sur cinq villages. Les 5 flux collectés en sacs sont : les emballages (jaune), le papier (bleu), le verre (vert), le résiduel (noir) et enfin les biodéchets (marron), qui à eux seuls représentent 30% du poids des déchets ménagers.

Objectif et préparation de l’opération

La proposition faite aux Scouts de l’Ardèche a pour but une amorce de sensibilisation de la population de Rennu au tri et à la gestion in situ du flux des biodéchets, avant un passage dans un avenir proche à la collecte des cinq flux en porte à porte par la collectivité.

Quatre étudiants de 2e année à l’ISTOM d’Angers, Ecole supérieure d’agro-développement international, ont pris contact en avril avec Zeru Frazu, à la recherche d’un stage dans le milieu associatif en lien avec la préservation de l’environnement et la sensibilisation au problème des déchets. Ils ont été intégrés à la mission, afin de mettre en perspective les résultats de l’opération.

La mission a nécessité l’organisation de la collecte des biodéchets auprès des habitants, ainsi que par ailleurs celle du campement du groupe de 17 scouts avec ses 3 accompagnateurs. Les 4 étudiants ingénieurs adultes de l’ISTOM, étaient autonomes pour leurs déplacements et leur hébergement.

Des randonnées organisées dans la région étaient également au programme.

Collecte et traitement des biodéchets

Rennu est un petit village de montagne, le plus haut du canton des Dui-Sorru, peuplé de moins de 70 habitants répartis dans 5 hameaux, dont les routes d’accès de 1 à 1,5 km convergent vers le lieu-dit U Ponte, où se trouve le composteur partagé pour traiter les biodéchets.

La mairie de Rennu a mis à disposition des scouts un terrain de campement préalablement démaquisé, avec une alimentation en eau potable. Elle a réalisé un inventaire des foyers à partir du cadastre et de la matrice de la Taxe Foncière.

La population a été informée préalablement lors d’une réunion publique le 22 mai. Les supports d’information, édités par la mairie ont été affichés en différents lieux du village (Mairie, Local Si Pò Fà, PAV : points d’apport volontaire des déchets) et diffusés sur la page Facebook de la commune.

La communauté de communes Spelunca-Liamone a fourni les bio-sacs nécessaires au recueil des biodéchets pour distribution par les scouts lors de leur première visite.

Si Pò Fà a mis à disposition le composteur partagé de 5m3 situé dans la cour fermée de son local au lieu-dit U Ponte.

L’association Zeru Frazu a approvisionné le site en broyat (apporté à hauteur de 30% minimum du volume des biodéchets pour un compostage de qualité). Elle a fourni les chariots pour le recueil et le transport à pied des biodéchets, assuré la pédagogie du compostage et la coordination du projet.

Les étudiants de l’ISTOM d’Angers sont arrivés en Corse le 29 juillet à Bastia. Après une étape à Merusaglia, siège de l’association Zeru Frazu, ils se sont rendus à Coghja (Coggia) à une demie-heure de Rennu environ, où la mairie a mis  à leur disposition un emplacement de camping sur un terrain communal. Les Scouts d’Annonay débarqués à Aiacciu sont arrivés à Rennu le 30 juillet pour y installer leur campement sur le terrain proche de l’église.

Une réunion publique d’accueil et de prise de contact s’est déroulée le 30 juillet à U Ponte, en présence du deuxième adjoint de la commune de Rennu, des scouts, des étudiants, de membres des associations Si Pò Fa et Zeru Frazu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Scouts répartis en 3 groupes se sont rendus à pied dans les hameaux pour réaliser 4 collectes de biodéchets chez les habitants en porte à porte pendant 10 jours, à des heures et intervalles non réguliers, tels que définis par leur programme d’activités. Les étudiants de l’ISTOM, chargés de tenir les statistiques des quantités collectées et de les analyser, ont accompagné l’opération. Ils ont réalisé une enquête sur la gestion des biodéchets auprès des habitants. La collaboration s’est faite dans une très bonne ambiance.

En fin de programme, tous les acteurs du projet se sont retrouvés le 10 août au local de Si Pò Fa, lors de la dernière collecte, en présence de la directrice de la Communauté de commune, d’une ambassadrice du tri, des bénévoles des associations. La soirée s’est prolongée, après un délicieux repas offert par les scouts, avec des chants et des danses… Merci à tous !

Résultats

 

Au total l’opération a permis de collecter 75,35 kg de biodéchets, pour 21 repas de 29 habitants.

Une étude de cohérence a été faite entre les résultats des calculs réalisés d’une part par les étudiants et d’autre part par Zeru Frazu (ZF). En effet les étudiants ont utilisé les chiffres résultant de leur enquête auprès des habitants :  nombre de personnes dans le foyer. Pour sa part ZF a utilisé les paramètres moyens couramment admis de 0.125 kg par repas et par habitant sur la base de 2 repas par jour. Les résultats calculés à partir des saisies de la collecte (Nombre de sacs, Poids, Nombre de foyers, Habitants par foyers…) sont cohérents concernant le poids des biodéchets et très semblables :

Nombre d’Habitants Collectés :

  • renseigné par les Étudiants : 28.6
  • calculé par ZF sur la base de 0,125kg de biodéchets/repas : 28.7

Poids des biodéchets produits par repas et par personne

  • calculé par les Étudiants : 0.110 kg
  • retenu ZF : 0.125 kg

Enquête réalisée par les étudiants de l’ISTOM d’Angers

 


Les étudiants et les bénévoles de l'associu Zeru Frazu

Conclusion

A partir de ces résultats, extrapolés sur une année et toujours pour 29 habitants, le poids des biodéchets à composter, qui ne seraient pas transportés vers les sites d’enfouissement, serait de 2,735 tonnes (75 kg/10j*365). Pour les 68 habitants (INSEE) de la commune, les biodéchets représentent environ 6,5 tonnes par an, non compte-tenu du pic saisonnier.

L’ensemble des biodéchets recueillis chez les habitants (75kg) et ceux produits par les scouts (estimés à 45kg), soit au total 120kg, complétés par un tiers de broyats environ, ont rempli 0,5m3 du composteur de Si Pò Fà, dont la capacité totale est de 5m3 environ. Le tri à la source effectué par les habitants a été excellent et prouve qu’il est facile à faire. Ils sont invités à continuer ce tri et à faire leurs apports au composteur, en libre accès dans la cour de l’association, en prenant soin de les recouvrir d’un peu de broyat sec disponible dans le casier à côté.

Cette expérience montre l’intérêt du détournement des déchets fermentescibles des ordures ménagères et de leur valorisation organique de proximité, en particulier en milieu rural, par compostage partagé. Elle a permis d’alléger les poubelles résiduelles, en éliminant l’humidité et les odeurs dues à la fermentation (dont la production de méthane, 28 fois plus réchauffant que le CO2 en tant que gaz à effet de serre). Cette action de réduction concerne 30 % en moyenne du poids de la poubelle. Elle a un impact bénéfique sur l’environnement, sur les coûts de transport et de traitement pour la collectivité et les usagers.

La population des résidents à l’année des 33 communes de Spelunca-Liamone est de 7 600 habitants. Avec la prise en compte des résidents saisonniers, la population DGF est de 15 142 habitants. Les chiffres des quantités de déchets publiés par le Syvadec (syndicat régional en charge du traitement) pour 2020 sont : 3 700 tonnes d’ordures ménagères résiduelles non triées (OMR), 40 tonnes de biodéchets collectés (chez les professionnels) et 128 tonnes estimées traitées en compostage individuel.

Pour cette collectivité, le poids global annuel estimé de biodéchets potentiellement compostables des ménages (déchets des professionnels non inclus) représente environ 1 200 tonnes. L’enjeu sera donc de collecter et valoriser localement la part importante des biodéchets encore présents dans les déchets résiduels de la poubelle noire. Un accompagnement, une collecte séparée contrôlée et une tarification incitative, basée sur le volume des ordures résiduelles, pourront optimiser et pérenniser les résultats.


Pour aller plus loin sur la généralisation du tri à la source des biodéchets, cliquez sur le lien pour voir la présentation de l’ONG Zero Waste France  :
Obligation de tri à la source des biodéchets : où en est le droit français ?

 

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