La Corse, le local, le mondial… et la pandémie du Covid 19

TRIBUNE. La crise du Covid nous invite à requestionner notre mode de consommation et notre modèle économique . Pour Thomas Fourtané, le changement qui s’impose pour le « mondial » sera le fruit de l’action « locale », concrète, pratique, accessible. La Corse est une fabuleuse entité, une sorte de super « local », riche de ses atouts naturels, de sa culture et son histoire. Emblématique, l’ile doit « changer de logiciel », renouer avec la valeur d’exemple qui était la sienne à l’époque de Pasquale Paoli, et s’inscrire avec détermination dans le grand défi du développement durable que le monde attend.

 

 

 

 

 

 


Thomas Fourtané architecte à Portivechju

 

Co Vid Dix Neuf. Articuler les syllabes du nouveau mal planétaire. Au cœur de la sonorité, entendre le mot « vide ». Vide comme nos esprits, si vite dépossédés de leurs certitudes, envahis par le doute, transparent et tranchant comme du cristal.

Des millions d’années de survie pour l’espèce humaine, de chasse et de cueillette. Des dizaines de milliers d’années de sociétés agricoles. Et puis 150 ans de révolutions, industrielle, guerrière, sociale et numérique, pour en arriver à celle de l’impensable… la révolution pandémique. Comme sur un circuit de formule 1, la grande accélération a manqué de maîtrise. Fatale, voici la sortie de route.

Nous étions calés dans notre actualité. Nous la pensions difficile. Du jour au lendemain, voici qu’elle était bien douce et confortable… Passant furtivement sur les routes désertes de la Corse, on aperçoit les radars routiers fracassés par les gilets jaunes. Ils nous ramènent aux récentes turbulences. L’image est dérisoire. Le coût unitaire pour la réparation de ces totems électroniques est de 200.000 €. Nombre d’entre eux n’ont pas été remplacés, faute de moyens pour un état surendetté, assiégé par les revendications citoyennes. 200.000 €, le prix de fabrication pour 1 million de masques de protection médicale…

Nous voici projetés dans la réalité du temps présent. Hier encore, elle était un futur impensable pour le citoyen « lambda », le « non sachant ». L’impensable l’est toujours autant, mais désormais il est bien là, résonnant chaque matin dans le réveil confiné de nos cerveaux inquiets. Mais le futur n’est pas impensable pour le « sachant ». Depuis de précieuses décennies, les scientifiques avisés analysent l’évolution des épidémies virales, leur accélération, leur lien systématique avec les grands bouleversements écologiques.

Parmi ces « punitions écologiques », on peut citer la maladie de Lyme, le virus Nipah, le SRAS, le virus H5N1…

De l’époque coloniale jusqu’à nos jours, soit environ 150 ans, l’humain a rasé l’équivalent de la surface du continent africain (1) pour élever des bêtes destinées à l’abattoir. Une (r)évolution qui a généré extinctions et déplacements de la faune sauvage, transmissions de virus animaux, mutations génétiques, développement des moustiques vecteurs d’agents pathogènes humains dans les zones déforestées…

Et puis encore, l’entretien de marchés d’animaux vivants fait franchir la « barrière de l’espèce » à quantité de microbes devenant ainsi pathogènes pour l’humain. Des contaminations certes liées à l’histoire de la domestication animale par l’homme, mais aussi des phénomènes totalement nouveaux sur le plan de leurs gravités, fréquences et envergures… Parmi ces « punitions écologiques », sur les 40 dernières années on peut citer la maladie de Lyme (USA), le virus Nipah (Malaisie), le SRAS (Chine), le virus H5N1 (Chine), la Fièvre Ebola (Congo)…

Dans l’intervalle du siècle et demi écoulé, la population mondiale se multiplie par 5.

L’accélération est démographique, économique. Elle engendre la prédation des ressources naturelles et donc la dégradation généralisée de l’environnement. En quelques décennies, la Chine connaît une croissance fulgurante. Sa population (1,4 milliards d’habitants) équivaut aujourd’hui à celle de la planète entière en 1850.

Sous l’égide de son état autoritaire, le progrès s’y fait en maintenant le peuple dans un mode de vie archaïque, exposé à la pollution, au manque d’hygiène et de liberté. Environnement, société, paix, développement partagé… Les thèmes conjugués définissent les enjeux de notre monde futur. Les grandes réunions mondiales (Cop) se succèdent pour évoquer le changement climatique, conséquence de la grande accélération. Mais les promesses ne sont pas tenues. Entre le compétitif et le solidaire, la cupidité guide l’esprit de l’homme. Et puis voici qu’en Asie, d’un misérable et clandestin trafic animal surgit un virus qui terrasse la terre entière…

 


Imaginons un immeuble, avec un pays différent à chaque étage. Un lieu où les habitants auraient oublié que le feu se propage du bas vers le haut. L’Italie au 1er étage, l’Espagne au second, et puis la France, l’Angleterre… Chacun réagit au dernier moment, attendant de sentir chauffer les flammes et piquer la fumée, pour enfin comprendre la réalité du danger.

 

Le futur est connu du sachant. Il est prédit et décrit par la science, relayé par les esprits éclairés. Steve Jobs a anticipé dans ces propos la crise du Covid 19. Roselyne Bachelot, ministre de la santé en 2007 avait parfaitement compris les enjeux de la grippe aviaire. Alexandre Adler, journaliste, a rédigé en 2009 (2) une analyse du rapport de la CIA. Il y relate de façon précise la forte probabilité d’une pandémie mondiale et fulgurante, d’origine asiatique, à l’horizon maximal de 2025…

Dans un monde devenu jardin et où l’on se promène à coup d’avions « low cost »

Le phénomène de mondialisation s’emballe. Les pays émergents veulent leur « part du gâteau ». Et quand les vieilles démocraties se font philanthropes, alors souvent leurs dirigeants vacillent et se font dégager par de « mâles populistes », promettant l’érection de murs et autres subterfuges pour rendre le monde meilleur. Dans le cas du Covid 19 et de sa progression européenne, imaginons un immeuble, avec un pays différent à chaque étage. Un lieu où les habitants auraient oublié que le feu se propage du bas vers le haut. L’Italie au 1er étage, l’Espagne au second, et puis la France, l’Angleterre… Chacun réagit au dernier moment, attendant de sentir chauffer les flammes et piquer la fumée, pour enfin comprendre la réalité du danger.

Le bon sens s’est-il envolé ? Dégorgeant d’informations, les réseaux sociaux nous donnent l’illusoire impression d’accéder enfin à la connaissance universelle, dans un monde devenu jardin et où l’on se promène à coup d’avions « low cost ». Mais le mensonge prospère et se normalise. Si la vérité dérange, les « fake news » imprègnent la toile d’une brume épaisse, neutralisant la pensée clairvoyante. Dans le confort de l’anonymat, les citoyens s’en accommodent, pensant exister, participer à coups de « like » ou d’aigres commentaires aux destinées de la planète.

Avisés, les grands dirigeants contrôlent les affaires, bien plus encore qu’à l’époque de la censure et des radios d’État. Le libéralisme se nourrit de liberté. Et puis, « grande première » dans l’histoire de l’humanité, le système s’écroule en quelques semaines. Saisi d’une peur modelée par Internet, le peuple tape sur des casseroles, solidaire du courageux monde médical, tous les soirs à 20 heures…

Les hauts responsables de la destinée collective savaient le risque majeur de pandémie. Mais il faut faire des choix. On ne peut tout financer… du train de vie de l’état à la santé publique, des missiles balistiques à l’éducation pour tous, des matières premières à l’humanitaire… En France, pays de « génétique » prestige, on entretient le mythe de l’état providence, tandis que les caisses sont vides, que les fonctions régaliennes se paupérisent, faute de réformes, de bon sens et de courage.

Alors comme en Italie, en Angleterre ou aux USA, on « sacrifie le sacré ». Progressivement, on érode les fondations du progrès que sont l’éducation et la santé… Car l’économie doit être sauvée en priorité, et donc la grande finance, puisque c’est sur elle que tout repose, par-dessus la misère planétaire. Le « tout libéral » explose aujourd’hui. Voici une guerre mondiale d’un nouveau genre.

L’exemple de la Chine exprime toute l’absurdité du système. Elle exporte le « mal » (Covid19) autant que son remède (masques et tests). Un peu comme si en 14-18, les Allemands nous livraient les masques protecteurs, en même temps que nous pulvérisaient de gaz moutarde… On découvre la fragilité du rêve moderniste, l’angoisse de la dépendance… le désastre de la désindustrialisation française (au contraire de l’Allemagne). Tout cela on le savait, mais on voulait du chiffre, encore et toujours du chiffre pour les grands conseils d’administration, la finance apatride, les paradis fiscaux, quelques individus au sommet de la mondiale pyramide.

Cette crise découle directement au dérèglement de l’environnement par l’humain.

Si désormais l’urgence est médicale, et si elle révèle, malgré tout, la noblesse du genre humain, le don de soi, on sait déjà que l’heure n’est pas à la remise en question du système mais à son sauvetage. Pour cela depuis le premier jour, les instances étatiques, économiques et financières sont à la manœuvre. L’effort est en marche, coûte que coûte, même si l’effondrement amorcé découle directement de cette grande mécanique qui aujourd’hui se fissure. Ce n’est pas le moment de tout remettre en question. À vrai dire ce n’est jamais le moment… Pourtant le combat pour un monde de développement durable et raisonné, n’a jamais été aussi actuel. Répétons-le, cette crise découle directement au dérèglement de l’environnement par l’humain. Et la solution future ne sera pas celle d’un système sauvé des flammes, consolidé et préparé en vue du prochain virus, avec tous les trackings, dépistages, confinages, masques et respirateurs…

Qui peut dire qu’il s’agit d’une crise sans responsable ? Qui peut nous assurer que le pire n’est pas à venir, et qu’à la prochaine sortie de route, nous n’irons pas nous fracasser contre un mur ? Qui navigue autrement qu’à vue, même si certains pays s’en sortent mieux que d’autres ? Une réflexion profonde s’impose, afin d’agir pour remettre le système mondial au service de l’humain et non le contraire.

La crise du Covid 19 remet au contact le mondial et le local, l’immense et le petit, le virtuel et le réel. Par son ampleur elle fait de la globalité planétaire une réalité concrète, dont l’effroi est ressenti par chaque individu. Mais elle s’exprime aussi par l’addition infinie des actions locales, des drames individuels, des efforts solidaires.

L’humain est au cœur de la grande panique. Derrière chaque masque médical, il y a un visage, une âme, un être de toutes origines, sociales, raciales, nationales… La multiplicité de ces personnes fabrique la grande émotion partagée. Et si comme toujours, les riches se protègent mieux que les pauvres  une des clés du système), on sait que plus personne n’est à l’abri de façon certaine, jusqu’aux ministres de la vieille Europe. Fragile, l’humain se « re-sacralise », et c’est en soi une bonne chose. Sur l’échelle de l’émotion universelle, une mort par le Covid19 vaut plus que celle de bien des grands drames contemporains. Le génocide du Rwanda a causé 1 million de morts, la guerre en Syrie 500.000 morts, et la pandémie du Sida génère 1 million de morts par an depuis les années 1990. Jusqu’ici, l’épidémie en cours est moins mortifère, mais son potentiel émotionnel est bien plus fort. Se jouant des frontières, le Covid 19 raconte une mort qui, s’approchant, devient réelle et anxiogène.

Le principe même du pouvoir est basé sur cette virile idée de puissance

Les avions sont cloués au sol. On veut se protéger du monde extérieur qui menace. L’isolement est la solution immédiate pour lutter contre la propagation du virus. Mais dans un futur à moyen terme, ce fait va sans doute inspirer le discours politique du repli sur soi, de la fermeture des frontières, de la défiance de l’autre. Le combat sera alors celui de la peur et de la raison. Depuis le début de la crise on le voit de façon flagrante, le premier des  enfermements est celui de la pensée dévoyée du chemin de sagesse. USA, Hongrie, Iran ou Brésil, le Covid 19 déstabilise les tenanciers du vieux monde, les autocrates, les scientifico-sceptiques… Idem les « états menteurs », la Corée du nord, la Russie… ou encore la Chine, avec ses quelques 3.500 morts officiels. La Chine qui fait enfermer ses lanceurs d’alerte, dont la première d’entre eux, le docteur Ai Fen, cheffe du service des urgences de l’hôpital central de Wuhan.

Impossible pour beaucoup de ces hommes qui président les plus grandes nations, d’amorcer le moindre aveu d’impuissance, puisque le principe même de leur pouvoir est basé sur cette virile idée de puissance, confondant la leur et celle de leur pays. L’alerte du docteur Ai Fen a été lancée le 30 décembre et confirmée par les autorités le 20 janvier suivant. 3 semaines de tergiversation, suffisantes pour laisser déraper la contamination… Le contrôle du pouvoir prévaut sur celui de la santé. En Chine l’exercice de vérité est périlleux. Madame Ai Fen aurait « disparue » depuis 15 jours.

 


En 1918,il y eut la grippe espagnole. Les soldats insulaires finissant la grande guerre ramenaient le fléau avec eux. 6.000 personnes environ ont alors péri dans l’Ile.

 

Au regard de la situation générale, il ne faut surtout pas succomber à la tentation de l’isolationnisme radical. Dieu merci la mondialité contemporaine n’est pas que celle du grand capital et du suicide écologique. Elle a aussi enfanté le génie numérique, par lequel se développe l’espoir de démocratie citoyenne, la communication scientifique, le partage des données. Il faut certainement retourner puiser dans la mémoire collective l’idée « d’écologie traditionnelle », reconstruire la notion d’échelle locale, de circuit court, agricole et sociétal, tout en développant l’interaction avec le monde. Fragmenter et ne pas s’enfermer. Se protéger et s’ouvrir. Prendre soin de soi et partager la peine de l’autre. Complexe, la sauvegarde de l’environnement est au «cœur » du projet mondial.

Et la Corse ?

Ile parmi les iles, elle partage le sentiment d’impuissance et d’inquiétude avec le reste de la planète. Ses habitants se pensaient à l’abri de la menace terroriste, de la violence urbaine, de la pollution. Exit les Sarrasins, les Génois et les troupes de Louis XV, la barrière du rivage ne suffit plus à contenir le nouvel envahisseur.

À vrai dire le fait n’est pas nouveau. Il y eut notamment la grippe espagnole en 1918. Les soldats insulaires finissant la grande guerre ramenaient le fléau avec eux. 6.000 personnes environ ont alors péri dans l’Ile. En 2020, les « échanges toxiques » se sont faits autrement, par le fait des journalières connexions françaises, italiennes, des retours de vacances pour les résidents, ramenant à leur insu l’invisible poison…

 


En cette période de découpage géographique imposé, l’ile retrouve aux yeux de tous l’évidence de son entité. Logiquement, elle doit constituer un refuge naturel face aux pandémies. Mais elle nécessite pour cela une autonomie de gouvernance, qui puisse fonctionner de façon intelligente et harmonieuse avec le pouvoir central.

 

En Corse, comme dans toutes les sociétés modernisées, dépossédées de leurs traditions et transmissions orales, les leçons de l’histoire s’effacent vite. L’heure est individuelle, matérialiste et immédiate. L’agriculture est en souffrance et le tourisme règne. En cas de coup dur, et le voici arrivé, ne reste plus que la dépendance vis-à-vis du continent et sa puissance tutélaire. Dans la nouvelle mondialité « pacifiée », l’ile reste plus vulnérable qu’il n’y paraît.

Petite de taille et de population, la Corse se sent plus ile que jamais depuis 1 mois. On y trouve toujours du saumon de Norvège, des tomates espagnoles et du jambon de Parme, mais pas de masques protecteurs, de gel hydro-alcoolique, de tests de dépistage… Au final, l’actuelle situation traduit le paradoxe installé dans une région où l’opulence est de vitrine, tandis que la pauvreté, le manque de développement et d’équipements publics racontent la réalité quotidienne de sa vie insulaire.

Comme ailleurs, l’infrastructure médicale souffre, en particulier dans les zones montagneuses, enclavées, dont l’extrême sud où l’offre de santé existante met en lumière sa criante insuffisance. Voir l’absence d’hôpital public à Porto Vecchio, 3e ville de Corse. Voir le ballet des hélicoptères en direction de l’hôpital d’Ajaccio.

Dans ce contexte de frustration, la vie des Corses continue et s’organise.

Voir encore le médiatique transport de 12 malades en direction du continent « salvateur », sur un navire de guerre long de 200 mètres, avec près de 200 militaires à bord en sus du staff médical… Malgré l’utilité de cet épisode, n’y a-t-il pas là quelque chose d’incohérent ? L’insulaire doit s’isoler. L’image amuse mais traduit aussi une angoisse légitime, tel un sentiment d’injustice, profond et difficile à formuler. Car dans la logique des choses, l’île est censée protéger de façon naturelle. Et si la Corse a subi un siècle en arrière la grippe espagnole, il en fût autrement en nouvelle Calédonie, ou encore à Sainte Hélène et bien d’autres iles encore (3), qui par leurs frontières maritimes, ont été protégées de la pandémie. Mais on ne saurait échapper à son époque, et la Corse, tout en protégeant et fructifiant ses valeurs, à commencer par ses ressources agricoles, doit continuer de s’ouvrir au monde, et s’enrichir de la connaissance universelle autant que de ses propres valeurs.

 


L’île a construit son développement économique comme une parfaite copie du libéralisme global. Perte des valeurs sociales, identitaires et culturelles, disparition de la langue, de l’agriculture. La mutation s’est faite au profit d’une certaine modernité, incluant l’accès ordinaire à la santé, l’éducation et le confort matériel. Mais sous l’égide d’une vision propre au « centralisme à la française », partagée il est vrai par nombre de Corses, l’économie a choisi la voie mono-sectorielle du tourisme intégral.

 

En cette période de découpage géographique imposé, l’ile retrouve aux yeux de tous l’évidence de son entité. Logiquement, elle doit constituer un refuge naturel face aux pandémies. Mais elle nécessite pour cela une autonomie de gouvernance, qui puisse fonctionner de façon intelligente et harmonieuse avec le pouvoir central.

Le succès du modèle de santé allemand plaide dans ce sens. Et même si ‘exemple surprend, Il en est de même l’Italie où la région de Vénétie s’en sort beaucoup mieux que sa voisine la Lombardie, par le simple fait de la pertinence de son action. L’ile quant à elle reste une ile. Elle doit pouvoir mieux protéger son intégrité territoriale.

Dans ce contexte de frustration, la vie des Corses continue et s’organise. Des initiatives s’engagent, souvent locales et citoyennes, pour répondre aux besoins de la vie nouvelle imposée par le confinement. La société insulaire retrouve vitalité et bienveillance, prompte à aider ses anciens, ses voisins. Un rayon de soleil dans la pénombre de l’incertitude.

Bien sûr, le regard se porte désormais en Corse sur la mutation économique de la crise. Face au ravage attendu dans le secteur touristique, les moyens d’action sont limités pour les responsables insulaires, dépendant pour l’essentiel de la chaîne financière solidaire, nationale, européenne.

De surcroît, la vie politique est déstabilisée par la sèche interruption du processus de vote des élections municipales. La situation de crise empêche la prise de responsabilité des nouveaux maires élus au 1er tour, et maintient en survie les anciennes équipes, attendant un second tour qui leur sera difficile. Parmi les maires « d’avant », certains jouent le jeu de la solidarité intercommunale, de l’indispensable entente cordiale. D‘autres profitent de la crise pour jouer leur va tout, gesticuler, prononcer des arrêtés arbitraires, asperger les voies publiques de produits chimiques qui n’ont d’autre qualité que de polluer durablement nos sols.

Cette économie, construite depuis 35 ans, est aujourd’hui en grand péril.

Aujourd’hui plus que jamais, Il est nécessaire en Corse d’élever le débat, de sortir de la fange politico-politicienne, sans autre dessein que de sauver ses fauteuils, servir le clan et entretenir le narcissisme de ses acteurs. Absence ou insuffisance de vision pour engager un développement économique et durable, manque de résultats, d’efficacité sur des sujets concrets comme le traitement des déchets, et bien des choses encore pour lesquelles il faut agir d’une façon nouvelle, forte et moderne. Il est urgent de rassembler les esprits brillants et volontaires, des femmes autant que des hommes, dévoués à la cause collective de l’ile entière, et par cette pensée commune, lier avec intelligence l’interaction du « local » et du « mondial ».

L’île a construit son développement économique comme une parfaite copie du libéralisme global. Perte des valeurs sociales, identitaires et culturelles, disparition de la langue, de l’agriculture. La mutation s’est faite au profit d’une certaine modernité, incluant l’accès ordinaire à la santé, l’éducation et le confort matériel. Mais sous l’égide d’une vision propre au « centralisme à la française », partagée il est vrai par nombre de Corses, l’économie a choisi la voie mono-sectorielle du tourisme intégral.

Elle est ainsi devenue saisonnière, fabriquant des lits froids, de la spéculation foncière, balayant de fait ses traditions les plus précieuses et les plus anciennes. Une société où la précarité continue de se répandre, tandis que les richesses ne profitent qu’au petit nombre, dépendant une fois encore de la tutelle étatique.

Il est certain que cette économie, construite depuis 35 ans, est aujourd’hui en grand péril. Certain aussi que malgré ses travers, nous avons le devoir impérieux de la sauver. Il convient d’être parfaitement clair sur ce point. Nombre des entreprises corses sont méritoires, traduisant des histoires familiales où en l’espace de quelques décennies, des structures de grande qualité se sont forgées, hôtels, restaurants, bâtiment, nautisme, luxe, niches de l’agriculture d’exception… L’heure est celle de l’incendie, et nous sommes tous des pompiers.

De la saison 2020, on sait juste qu’elle sera désastreuse. Face au pire, il faut d’ores et déjà que la Corse ne parle que d’une seule voix, au travers de sa collectivité territoriale, de ses maires et députés. Il faut tenter ce qui peut l’être pour sauver la saison du naufrage intégral, tout en gardant la priorité absolue de la santé publique.

Ne pas oublier que la crise du Covid 19 est bien plus qu’un grave problème de santé.

Il faut contrecarrer un phénomène qui n’aura pas d’équivalent dans les autres régions françaises. Mais il faut aussi être fort mentalement, pour élever la réflexion, et ne pas oublier que la crise du Covid 19 est bien plus qu’un grave problème de santé. L’actualité mondiale annonce la grande crise économique et puis sociale, la pandémie de pauvreté, les migrations et les conflits de territoires. Elle nous alerte sur le danger de continuer à foncer encore inconsciemment sur cette route de la grande compétition planétaire. Tout ceci est bien plus qu’une affaire de vaccin. Il s’agit d’un signal d’alarme. Celui de l’environnement naturel qui est menacé de destruction irréversible. Il est vital de le comprendre, et puis de retour à l’échelle insulaire, d’engager le dessin d’un avenir différent, sur le thème de la « sobriété heureuse » chère au penseur écologiste Pierre Rabhi.

Pour rappel, au vu du rythme actuel, les experts en écologie prédisent une disparition totale de la forêt amazonienne à l’échelle de 20 ans… Le changement qui s’impose pour le « mondial » sera le fruit de l’actions « locale », concrète, pratique, accessible. La Corse en ce sens a le devoir d’agir. Elle est une fabuleuse entité, une sorte de super « local », riche de ses atouts naturels, de sa culture et son histoire. Emblématique, l’ile doit « changer de logiciel », renouer avec la valeur d’exemple qui était la sienne à l’époque de Pasquale Paoli, et s’inscrire avec détermination dans le grand défi du développement durable que le monde attend.


1 :  Le Monde diplomatique. Mars 2020

2 : Le nouveau rapport de la CIA. Comment sera le monde en 2025. Alexandre Adler. 2009

3 : The prioritization of island nations as refuges from extreme pandemics.

Étude des chercheurs Matt Boyd et Nick Wilson. Nouvelle Zelande. 2019

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