Nous mentez-vous M. Hulot ?

Nicolas Hulot ministre en charge de l’Écologie a déclaré que les l’incinérateurs d’aujourd’hui « n’auraient pas les mêmes défauts, impacts, dangerosité qu’hier. Vraiment ? Peut-il ignorer les avis scientifiques et les législations et règlements européens ? Mais peut-être vous mentez-vous Monsieur le ministre.

 


 

Interrogé par la presse sur la crise des déchets en Corse lors de sa venue fin mai 2018, Nicolas Hulot, ministre d’État, ministre de la Transition écologique et solidaire, semble apporter sa caution à l’incinération. Le ministre déclare que les incinérateurs d’aujourd’hui « n’auraient pas les mêmes défauts, impacts, dangerosité qu’hier» !

L’incinération des déchets ménagers et assimilés consiste toujours à réduire en fumées, cendres et résidus solides des matières de toute nature, qui sont jetées et gaspillées alors qu’elles sont des ressources. Une grande partie peut être réutilisée, compostée ou recyclée.

La pollution peut-elle avoir disparu ?

Même si depuis décembre 2005 les usines ont été contraintes de respecter la réglementation européenne et de réduire leurs émissions, un incinérateur produit toujours des polluants toxiques émis dans l’atmosphère et des déchets dangereux à enfouir, les résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères (REFIOM), les cendres et mâchefers,  parfois abandonnés illégalement dans la nature.

La combustion a toujours pour effet de concentrer les polluants, tels que les métaux lourds (par exemple le mercure), de transformer des déchets au départ non dangereux en substances dangereuses et invisibles, polluants organiques persistants (ou POP), dont les dioxines, furanes, PCB. Pour limiter la pollution, des normes ont été définies en 2002 sur seulement une dizaine de polluants.

Depuis le scandale des contrôles antipollution de l’industrie automobile, comment ne pas s’interroger en matière d’incinération de déchets ménagers et autres sur la fiabilité des analyses et contrôles. D’autant plus que ces contrôles et les dispositifs anti-pollution impactent fortement les coûts de fonctionnement.

Que brûle-t-on dans les sacs noirs ?

Il est impossible de connaître la nature de ce qui est jeté en mélange, notamment dans les sacs noirs, et donc dans les fours. En conséquence il est impossible d’appréhender la diversité, la quantité et la dangerosité* des molécules invisibles émises par les usines d’incinération. Les taux et la nature des émissions sont sans commune mesure avec celles des véhicules utilisant un mono carburant bien identifié. Même le fioul lourd des centrales électriques thermiques, émet moins de polluants.

* Ex. les dioxines bromées issues de la combustion de retardateurs de flamme bromés (RFB) présents dans toutes sortes de produits industriels : les équipements électriques et électroniques, l'automobile, l'ameublement, le bâtiment (polystyrène expansé), etc.

Les déchets issus de ces filières peuvent être broyés sous forme de combustibles solides de récupération CSR en vue d’une « valorisation énergétique », c’est à dire incinérés. Les incinérateurs de déchets participent donc à la pollution atmosphérique générale avec son cortège de maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les filtres des fumées, qui doivent limiter la pollution, tout comme ceux des cigarettes, ne sont pas des filtres absolus ! N’est-ce pas un champ d’application du principe de précaution ?

Aucune nouvelle étude n’a été lancée sur les impacts sanitaires de la pollution des incinérateurs. Celles qui existent sont anciennes et montrent l’augmentation de cancers (Étude sur l’incinérateur de Besançon-2011).

D’abord, la valorisation par recyclage de la matière

En 2008 précisément, Besançon et les municipalités avoisinantes ont décidé de prendre leurs distances avec l’incinération et de fermer le plus vieux de leurs fours. Grâce à un programme basé sur le développement du compostage de proximité et la tarification incitative, ce territoire s’est mis sur la route du Zero Waste, Zéro Déchet.  (Voir  : Besançon et les déchets : un modèle à suivre).

L’incinération est antinomique des politiques de tri poussé et de valorisation de la matière contenue dans nos rebuts. En effet pour des raisons de rentabilité, les installations sont contraintes de brûler d’importantes quantités de produits. Mais ces produits ont nécessité de l’énergie pour l’extraction, le transport, la fabrication, la mise sur le marché : c’est l’énergie grise, énergie cachée, indirecte.

Elle doit être prise en compte dans une économie circulaire, qui limite le gaspillage des ressources et l’impact environnemental.

Dans la hiérarchie des modes de traitement des déchets ménagers, l’incinération arrive seulement après la prévention, la réutilisation, le recyclage et la valorisation des déchets organiques fermentescibles.

Cette industrie lourde de l’incinération, très coûteuse pour les finances publiques et les citoyens, cherche à se perpétuer en mettant en avant la production d’électricité, qui du point de vue énergétique est un leurre. Lire les articles : Très chers incinérateurs et Performance énergétique des incinérateurs.

Le ministre qui ignore les recommandations européennes

Le ministre de la Transition écologique ne peut ignorer la recommandation de la Commission européenne de janvier 2017, ni l’avis de l’Ademe du 13 avril 2017 lequel indique que la France n’a pas besoin de nouvelles capacités d’incinération en raison notamment du risque de surcapacité des installations existantes et de l’émergence de nouvelles technologies de recyclage (cf. ci-dessous la vidéo enquête d’Arte : Copenhague, les déchets de la discorde). L’Union Européenne multiplie les textes réglementaires en faveur de la réduction des déchets et du recyclage : (cf. le Paquet économie circulaire de la directive européenne du 30 mai 2018).

Les financements publics doivent être réorientés vers des projets tendant à une véritable économie circulaire. La limitation des coûts de transport et de traitement dégage des fonds importants pour les collectivités, à utiliser en création d’emplois locaux : techniciens, ambassadeurs du tri, etc.

Au retour de sa visite en Corse

Nicolas Hulot au retour de sa visite en Corse a réaffirmé devant l’Assemblée nationale, répondant au député Jean Jacques Ferrara : « Pour résoudre cette crise, il y a d’abord un consensus fort sur la priorité absolue à donner au tri sélectif, où la Corse a malheureusement beaucoup de retard… » (article France3 Corse Viastella)

L’incinérateur ne peut rien résoudre à court terme. Il ne pourrait entrer en service avant 6 ou 7 ans minimum. Pour résoudre la crise des déchets en Corse, il y a des solutions. L’urgence réaliste à court terme consiste en :

  • la réorganisation de collectes séparées de chaque flux au porte à porte ou points de regroupement, y compris des biodéchets triés à la source,
  • la valorisation organique (compostage des déchets de cuisine et de jardin) et le recyclage,
  • la mise en place d’une redevance incitative.

Ne laissons pas saboter la seule stratégie rapide et efficace qui fait ses preuves partout où elle est mise en œuvre, notamment dans de nombreuses communes de Sardaigne et d’Italie, même si elle ne va pas dans le sens des intérêts des transporteurs, des industriels et des grands groupes. Ne brûlons pas notre futur…

Le tri est une meilleure solution, mais il n’a pas ajouté sa signature

Déjà en 2006, contacté en sa qualité de défenseur médiatique de l’environnement possédant une résidence dans l’ile, Nicolas Hulot avait souligné dans le courrier ci-contre que le tri, sur le plan de l’écologie et de l’emploi, est une meilleure solution. Mais il n’avait pas souhaité ajouter sa signature à l’Appel pour un environnement de qualité en Corse. Cet Appel sur le thème «Oui au tri, non à l’incinération», initié par le Collectif corse contre l’incinération, avait rassemblé 197 personnalités du monde scientifique, médical, universitaire, culturel ou politique (cf. liste des signataires).

La forte mobilisation de la société civile a abouti à l’abandon de l’incinération en 2008, confirmé par un vote à l’unanimité de l’Assemblée de Corse (Délibération N° 10/202 de l’Assemblée de Corse du 25 novembre 2010). L’incinérateur, comme la thermolyse ou la pyro gazéification, sont donc exclus, en vertu du Plan de Gestion des déchets de la Corse applicable depuis 2015.

Sur ce point la Corse est protégée et c’est tant mieux. Notre ile mérite la seule solution d’avenir. Forza à A strategia Zeru Frazu !

 

 

 

 

 


POST SCRIPTUM

La démission de Nicolas Hulot du ministère de la Transition écologique le 28 août 2018 a donné lieu à de nombreux articles et débats, tels : Journal Le Monde : « Je ne veux plus me mentir »),  vidéo France Télévision, C dans l’air : « Hulot parti… la victoire des lobbys ? »

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