Tous les emballages se trient… Progrès ? Solution à la crise ?

En Corse, à partir du 1er août 2018 tous les emballages se trient. Une bonne nouvelle ? Pas si sûr… Décryptage

En Corse, c’est à partir du 1er août 2018 qu’intervient l’extension des consignes de tri à tous les emballages, « quatre ans avant l’obligation légale » se targue le syndicat de traitement des déchets Syvadec. La poubelle «noire» devrait dégonfler, au profit du bac ou sac jaune. Dans la poubelle ménagère, au moins 80% du contenu peut-être séparé à la source, vers différents flux. En effet, les plastiques représentent 11 % en poids, les matières biodégradables 32%.
C’est l’objectif premier d’une stratégie zéro déchet correctement menée. Avec un tri poussé organisé, ces 80 % ne sont plus des déchets puisqu’ils deviennent des ressources. Et seulement 20 % de déchets ultimes devraient être stockés en centres d’enfouissement.

Que représente la part des emballages concernés par cette extension ?

Les plastiques
Ils font beaucoup de volume et représentent tous ensemble seulement 11,2 % en poids. Ils sont fabriqués essentiellement à partir de pétrole, avec une variété d’adjuvants qui se comptent par milliers.  40% des emballages en plastique sont des bouteilles et flacons qui se trient et se recyclent relativement bien. Mais les autres éléments, inclus dans les nouvelles consignes, perturbent le tri et le recyclage, en raison de leur composition complexe, d’assemblages de matières, de formes et de tailles très divers. S’ils sont triés, ils ne seront pas forcément recyclés (pots de yaourts, gourdes de compote, paquets de café, sachets mous, etc).

En effet le plastique est le matériau qui se recycle le moins  : en France en 2016 environ 26 % des emballages plastiques étaient recyclés. Surtout, ne pas confondre tri et recyclage ! La grande partie est enfouie ou incinérée ou, lorsqu’ils sont abandonnés dans la nature, finissent souvent dans les cours d’eau sous l’effet du vent et de la pluie, puis dans les mers et les océans. D’où la nécessité de limiter en amont son utilisation : moins de plastique à usage unique, moins d’emballages et de suremballage, plus de matériaux sains et simples à recycler.

Les métaux
Aluminium et autres, ils représentent globalement 3 % du poids des ordures ménagères. Il est bon de les trier, car ils se recyclent bien et cela permet d’économiser des coûts d’extraction de matières premières. Le poids des « petits emballages alu » dans notre poubelle est somme toute infime.


L’extension des consignes concerne environ 5 % du poids de nos déchets ménagers potentiellement triables. Même si tout le monde trie, l’impact est peu significatif sur les tonnages des ordures ménagères résiduelles et à l’heure actuelle il est quasi nul. En revanche il y a un gros impact sur le volume des sacs ou bacs jaunes que les foyers et les collectivités ont à gérer.  Il y a un risque pour la qualité du tri effectué, en raison du mélange hétérogène d’emballages non recyclables. En réalité, le potentiel de réduction des tonnages de déchets ménagers se trouve ailleurs.

Quid des putrescibles ?
Les matières biodégradables –  biodéchets – représentent 32,2 %, soit le tiers du poids de la poubelle ménagère. Triés à la source, ces déchets fermentescibles humides peuvent être compostés facilement sur place en milieu rural. En milieu urbain la collecte séparée contrôlée, en porte à porte ou points de regroupement, s’avère indispensable et très efficace. Elle permet leur valorisation organique à proximité en intégrant du broyat de déchets verts de jardin (composteurs partagés, plate-forme ou usine de compostage), avec évaporation naturelle de l’eau qu’ils contiennent (60 à 90 %) et l’obtention d’un amendement pour les sols.

Qu’y a-t-il dans nos poubelles ? Source © Modecom 2007-2008,  Ademe Caractérisation déchets-Ademe

 

L’expérience montre que la mise en place de la gestion séparée des biodéchets n’est pas plus chère. Elle réduit les coûts de transport et d’enfouissement. Elle permet l’augmentation du tri et l’amélioration de sa qualité. Une fois que l’on a écarté tous les déchets de cuisine à l’origine des mauvaises odeurs quand ils pourrissent ; une fois que l’on a trié les emballages, le verre et les papiers/cartons, apporté les déchets toxiques en déchèterie, la poubelle se remplit lentement et sans incommoder.

Mais les principaux acteurs économiques du secteur de l’emballage et des déchets (production, transport, industrie du traitement) ont-ils intérêt à leur réduction ? Le développement du compostage c’est 30 % des tonnages qui leur échappe et du chiffre d’affaires en moins. Si l’on collecte les déchets humides séparément, comme le prévoit la loi, les projets d’usines de tri valorisation/surtri ne sont pas viables.

Le mélange de plastiques complique le travail de surtri mécanique

« On s’est rendu compte en ouvrant l’extension des consignes de tri que, non seulement ça ne fonctionnait pas, mais que les process très contraints rendaient difficile voire impossible toute adaptation pour que ça fonctionne » explique le directeur commercial en charge des marchés publics d’Ar-Val, concepteur de solutions de tri, dans un article de Philippe Collet, publié par Actu Environnement le 3 juillet 2018.

Est-ce vraiment le bon choix ?

La décision d’anticiper en Corse l’extension des consignes de tri à tous les emballages pose question. En effet, l’expérimentation est lancée à un moment peu opportun à savoir en plein été, lorsque les communautés de communes et d’agglomération doivent gérer la surproduction saisonnière due au tourisme. Par ailleurs, l’expérience est menée sans préparation : or sans préparation ni accompagnement comment faire face à l’augmentation des volumes et améliorer la qualité tri ? La communication existante sur les consignes devient obsolète ; faudra-t-il refaire les flyers, les consignes sur les bacs, les cabas ? Qui paie pour tous ces changements ?

La collecte en points d’apport volontaire, majoritaire sur l’île, risque de rendre le tri encore plus fastidieux, car le volume plus important oblige à se déplacer plus souvent et à mettre les objets un par un. A contrario, une extension de consignes menée avec une collecte en porte à porte, en sac ou bac individuel, ne génère pas ce genre de désagréments.

Il n’existe pas en Corse de centre de tri adapté à cette extension et il n’y en aura pas de si tôt, car pour qu’un centre soit rentable il faut la collecte sélective de 515 000 habitants (Corse population : 330 000 hab). Les emballages seront donc transportés et triés à Nîmes (à quel prix ?). La partie des plastiques non recyclables sera incinérée avec un coût supplémentaire. L’extension des consignes de tri est au stade expérimental sur le continent pour 185 collectivités, soit 23 % de la population. L’éco organisme Citeo*, dans son rapport  du 9 novembre 2017, met en évidence des retours d’expérience mitigés aussi bien du point de vue technique que financier.

* Citéo
fusion d’Eco emballage et Eco folio encaisse les taxes sur les papiers et sur les emballages des produits que nous achetons. Une partie est reversée aux collectivités qui sont organisées pour collecter et recycler.

L’expérimentation en Corse

Notre île est mauvaise élève du tri, mais elle n’est pas la seule. La France en général se situe bien en dessous de la moyenne du recyclage en Europe (Source article Le Monde et Plastics Europe). Sous couvert de simplification du geste pour l’usager et plus d’efficacité dans le recyclage, cette expérimentation anticipée ne préfigure-t-elle pas d’autres expériences encore plus problématiques ? Selon Citeo, les solutions de valorisation énergétique (incinération) sont l’un des prérequis à l’extension des consignes… Cette mesure n’est-elle pas une manière de favoriser l’incinération ou d’autres traitements thermiques ? Dans notre région insulaire ils ont été heureusement abandonnés pour des  raisons tant économiques, que sanitaires et environnementales dès 2008 par le Syvadec et l‘Assemblée de Corse.

Pourquoi depuis les crises,  sur les sept plateformes de compostage annoncées par le Syvadec, une seule a-t-elle été mise en service en 2018 à Viggianellu ? Les prévisions étaient pourtant de déployer un réseau régional complet, dans le cadre de la programmation 2016-2020. Au final cette expérimentation sur le tri élargi des emballages laisse entendre que le recyclage sera amélioré, alors qu’il restera à la marge. Elle génère des coûts et des perturbations d’organisation pour les citoyens et les collectivités, pour un effet nul sur la réduction des tonnages enfouis et donc sur la crise.

Est-ce vraiment l’urgence lorsque, par ailleurs, on connaît avec certitude l’impact d’une stratégie de collecte et traitement séparé des biodéchets  ? Couplée avec la tarification incitative, c’est le levier qui fait évoluer les comportements.

En France la collecte séparée des biodéchets est mise en œuvre pour environ 4 millions d’habitants. En Italie 40 millions d’habitants sont concernés dans 4 000 communes, dont un grand nombre en Sardaigne.  Elle est en place en Corse pour les professionnels de Calvi Balagna, de Costa Verde, de Marana Golu, pour les ménages à l’Algaiola, Aregnu en Balagne, dans un quartier de Furiani.  Au total en 2017 : 1 219 tonnes ont été collectées. En Italie en 2016 : 4,3 millions de tonnes. La généraliser est possible et nous avons une très large marge de progression ! Cela tient aux choix du Syvadec et des intercommunalités.

 

La Directive déchets européenne du 30 mai 2018, Article 22, stipule que la priorité pour les États membres est de 
collecter séparément les biodéchets sans les mélanger avec d'autres types de déchets, au plus tard le 31 décembre 2023 – soit deux ans avant l’obligation française de la LTECV (Loi pour transition énergétique et la croissance verte)

Pour sortir des crises

La démarche Zéro Déchet, Zeru Frazu, est le mode d’organisation et de gestion le plus respectueux pour la santé et l’environnement, le plus rapide à mettre en place, avec un coût raisonnable sur le long terme. Le trépied d’une organisation s’appuyant sur la démarche Zéro Déchet comporte 3 points-clés complémentaires et indissociables :

• Tri à la source, y compris des biodéchets
• Collecte séparée contrôlée, au plus près des usagers (porte à porte ou points de regroupement)
Tarification incitative, indexée sur le volume, le poids ou la levée du bac.

C’est la démarche à mettre en œuvre d’urgence pour sortir des crises !


ALLER PLUS LOIN
 
Vidéo Konbini News : Le plastique non merci! Les logos du recyclage
Article : Déchets plastiques : la dangereuse illusion du tout-recyclage, 
par Nathalie Gontard, Directrice de recherche, professeur, spécialiste en sciences de l'aliment et de l'emballage,INRA

Le tri, c'est tout sauf simple ! 
Décryptage d'Elisabeth Chesnais pour Que Choisir, septembre 2018  - Résumé

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