Plan Déchets de la Corse : faux pas ou fausse route ?

L’élaboration du projet de Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets (PTPGD) vient de s’achever. Le rapport résumé soumis pour avis au Cesec (Conseil Économique, Social, Environnemental et Culturel), puis adressé aux conseillers de l’Assemblée de Corse, reflète mal le contenu du Plan. En effet ce rapport condensé sur une vingtaine de pages, outre des erreurs et des incertitudes, met en avant des solutions de gestion des déchets pour le moins inquiétantes. N’est-il qu’un faux pas maladroit ?

L’intégralité du Plan comporte plus de 800 pages, avec le Plan d’Action en faveur de l’Economie Circulaire (PTAEC), le Rapport Environnemental et les documents annexes. Le rapport sur le PTPGD, à l’ordre du jour de la dernière session de l’assemblée de l’année 2020, inquiète. C’est aussi le sentiment des élus des groupes de la majorité territoriale. Il a de ce fait été retiré et l’exécutif a décidé de reporter son examen en janvier, après amendements. Souhaitons que ce délai permette à tous les élus de prendre connaissance de façon approfondie de la version provisoire de ce PTPGD in extenso, afin d’en débattre en toute connaissance de cause.

D’un point de vue général, le vocabulaire très technique utilisé mériterait d’être rendu plus accessible pour les lecteurs non avertis.

Le plan est, avant toute chose, un plan de prévention

Le plan doit d’abord s’attaquer à la réduction des déchets. La nécessité de cette réduction de tous les déchets est incontournable et prioritaire. Sachant que le respect des dispositions légales, en termes de calendrier et de quantité ne sont pas atteintes sur notre territoire, le Plan devrait traiter avec rigueur ce point particulier, en proposant des objectifs  et des mesures contraignantes pour les atteindre. Il devrait évoquer le retard considérable pris en général par les Communautés de Communes ou d’Agglomération dans la mise en œuvre qui leur incombait et qui leur incombe toujours. Toutes mesures utiles pour atteindre tous les objectifs des Plans passés et en cours sont à trouver.

Concernant la gestion des déchets collectés par le service public, déchets ménagers et assimilés (DMA), les enjeux sont clairement répertoriés. Mais la part des déchets d’activités des professionnels (DAE) et ceux du bâtiment et des travaux publics (BTP), dont le plan pointe l’impossibilité actuelle d’en chiffrer les tonnages, doit être évaluée en priorité, avant d’envisager de lourds investissements.


Des points litigieux sont à relever dans ce rapport, qui comporte le meilleur, mais aussi le pire…

Les biodéchets alimentaires

L’organisation de la collecte et du traitement organique séparé de ces déchets notoirement sous-estimés (pourquoi 25 % des ordures ménagères, lorsque les données Ademe sont à 32 % ?) n’est pas au centre des priorités comme l’impose dorénavant la loi, au plus tard au 31 décembre 2023. Le Décret n° 2020-1573,  (Journal Officiel du 13 décembre 2020) porte diverses dispositions d’adaptation et de simplification, notamment dans le domaine de la prévention et de la gestion des déchets : planification régionale, tri et valorisation des biodéchets  et un arsenal de sanctions. Elles devront être intégrées dans le volet réglementaire du Plan.  Voir publication du 14.12.2020 sur Banque des Territoires    « Gestion des déchets : un décret met la loi Économie circulaire en musique ».
Le compostage, individuel ou partagé de quartier et en pied d’immeuble, ne peut pas être une réponse pour toutes les situations, notamment dans les habitats verticaux ou les centres urbains denses, où s’impose une collecte au porte à porte.

La tarification incitative

Ce levier puissant pour la réduction des déchets, pour la qualité du tri et la maîtrise des coûts, n’est pas évoqué dans le rapport. Il convient de la mettre également au centre des priorités.
En effet l’Ademe (Agence de la Transition Écologique) juge la tarification incitative comme « sans équivalent pour faire évoluer les comportements« . Elle permet de réduire en moyenne de 41 % la production d’ordures ménagères résiduelles.  et d’augmenter de 40 % la collecte des recyclables. Lire article de La Tribune : Ordures ménagères : la tarification incitative, moyen efficace pour réduire les déchets.

Installations de collecte et traitement existantes et en projet
Les deux centres de sur-tri sur ordures brutes (procédé de tri mécano biologique, TMB)

Ils ne peuvent, et c’est la loi, être mis en œuvre que si la collecte séparée des biodéchets existe. Dimensionnés pour 100 000 tonnes annuelles ils seraient un obstacle évident au développement du tri à la source de tous les flux, axe essentiel de la politique de prévention.  Si une seule installation devait être envisagée pour stabiliser les ordures ménagères résiduelles (retirer l’organique restant au dernier stade de la chaîne, après un tri poussé) elle ne devrait pas dépasser 30 000 ou 40 000T.

Les deux usines de tri (ou pré-tri) sur déchets secs ménagers et assimilés (DMA)

A propos de ces installations pour le tri des emballages-papier-cartons, aucune justification, notamment financière, ne figure dans le rapport ni dans le Plan, sur le bien-fondé d’installer en Corse deux usines adaptées à l’extension des consignes de tri des emballages (bac jaune). En effet la rentabilité d’une seule installation nécessite de traiter les collectes sélectives de 515 000 habitants (cf. Rapport d’étape 2017 de l’éco-organisme Citeo, page 27/94).

La décision prise par le syndicat de traitement Syvadec d’anticiper l’élargissement des consignes de tri en 2018, 4 ans avant l’obligation légale, pose question sur la façon dont il envisage la gestion des déchets. Voir article de Zeru Frazu publié le 11 septembre 2018 : Tous les emballages se trient… Progrès ? Solution à la crise ?

Les unités de valorisation organique (compostage)

Dans l’inventaire des installations existantes en 2018, les unités de valorisation organique pour les déchets verts de jardins et les biodéchets sont recensées au nombre de 9. Mais en réalité seulement 2 plateformes publiques ont été construites, dont l’une n’est pas encore opérationnelle au Centre Corse, près de deux années après son inauguration. Au final fin 2020, seulement une plateforme publique et 4 plateformes privées pour déchets verts fonctionnent, dont une seule accueille les biodéchets, en Corse du Sud. Pourquoi ce décalage entre ce qui est écrit et la réalité sur le terrain ? Force est de constater qu’aucune structure capable de valoriser par compostage les biodéchets et les déchets verts n’existe à proximité des agglomérations, ce qui est en contradiction avec le principe même du traitement de proximité pour ce type de déchets et empêche le développement de cette filière essentielle à la réduction.

 

La coopération avec la Sardaigne

En matière d’économie circulaire, le nouveau plan d’action PTAEC envisage avec pertinence une coopération avec la Sardaigne.

Cependant la solution consistant à envisager l’utilisation des deux incinérateurs (dont l’un ne serait bientôt plus en fonction) pour assurer la transition du traitement des ordures ménagères est-elle réaliste face à la volonté des élus sardes de s’éloigner de l’incinération en continuant à améliorer les performances de tri avec l’objectif de 80 % en 2022 ? Lire l’article de la Nuova Sardegna  « Déchets, les plans de l’île : adieu à la valorisation énergétique ».
Nous serions bien inspirés de coopérer tout particulièrement sur les méthodes qui ont permis à « l’île sœur » d’obtenir de telles performances, passant de 25 % à 75 % de tri généralisé en quelques années.

Il n’en reste pas moins évident qu’il faudra trouver des solutions pour traiter l’excédent des résiduels (64 % des déchets collectés en 2019) résultant du retard pris depuis plus de 20 ans dans la gestion des déchets, excédent qui courra sur plusieurs années et dont aucun des traitements possibles -tant qu’une réelle politique de réduction ne sera pas effective- n’est satisfaisant : enfouissement en mélange tel que pratiqué actuellement, export pour enfouissement/incinération, dispersion des balles dans la nature…


La réintroduction de l’incinération sous toutes les formes

L’hypothèse d’une usine d’incinération (UVE, Unité de Valorisation Énergétique) dimensionnée à 140 000T/an est évoquée, alors qu’un projet d’incinérateur, déjà déguisé en UVE de 160 000T/an, avait été abandonné par vote à l’unanimité de l’assemblée de Corse en 2010. Lire article publié le 25.11.2010 : « L’assemblée de Corse écarte le projet d’incinérateur »   –   cf. Délibération N°10/202 AC du 25.11.2010

Est-ce bien raisonnable, lorsque nombre de collectivités, notamment en France et en Europe, s’éloignent progressivement de ce mode de traitement (cf. exemple de Besançon) et qu’elles peinent à alimenter et rentabiliser les usines existantes ? Cette solution de facilité, toujours attrayante pour certains, malgré les coûts exorbitants en investissement et fonctionnement et les risques sanitaires, ne peut aujourd’hui s’exonérer du cadre légal des objectifs de réduction et de tri.

Le rapport développe très largement la fabrication de CSR (combustibles solides de récupération) ainsi que leur utilisation. Ces résidus, issus des centres de sur-tri mécanique et broyés, sont destinés à être brûlés comme leur nom l’indique, dans des chaudières pour produire de l’énergie. Encadrés par la loi  ils ne doivent pas être produits et utilisés au détriment de la prévention des déchets ou de la valorisation matière, ceci afin de respecter la hiérarchie des modes de traitement.  La pertinence de cette filière est mise en doute par l’équilibre financier et par les risques liés essentiellement à la pérennité du débouché pour les valoriser. Le PTPGD émet de sévères réserves sur ce type de projet. L’impact sanitaire et environnemental est complètement éludé ; il s’agit bien d’incinération avec la pollution dont la nocivité, malgré les normes et les contrôles, est bien documentée   Cf. articles relayés sur le site Contre l’incinérateur . La question des exutoires pour le stockage des résidus toxiques de l’incinération (REFIOM, mâchefers) n’est abordée ni dans le rapport, ni dans le plan.

La gazéification et la pyrogazéification, techniques de traitement thermique toujours expérimentales depuis près de 20 ans, non adaptées aux déchets ménagers, avec des contraintes de préparation des déchets et des coûts prohibitifs, n’ont pas leur place dans un tel rapport, ni dans un plan pour les 340 000 habitants de la Corse et une fréquentation touristique saisonnière.

Le suivi annuel des résultats

Le calendrier réglementaire étant contraint, le suivi annuel des résultats, tel que le propose le Plan, devrait introduire une première phase avec des éléments contraignants formels (performances) pour atteindre les étapes de la hiérarchie des modes de traitement et en premier lieu la réduction à la source. Ceci afin de mesurer la pertinence de la mise en œuvre des procédés industriels envisagés et de leur dimensionnement.

On peut donc espérer que le prochain rapport qui sera soumis au débat de l’Assemblée territoriale en janvier soit amendé et reflète mieux l’esprit du Plan.  Zeru Frazu sera attentif à ce que les objectifs, les solutions retenues et les échéances soient bien définis dans le projet de Plan qui sera soumis à l’avis des citoyens au cours de l’enquête publique. Nous pourrons juger alors si ce rapport constituait un faux pas ou si c’est tout le plan qui nous engage sur une fausse route.


Pour aller plus loin

Loi Économie circulaire : une ordonnance sur la prévention et la gestion des déchets complète la feuille de route

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