Déchets ménagers en Corse : l’année 2021 a-t-elle apporté des progrès ?

Le Bilan annuel du Syvadec, syndicat de traitement des déchets de la Corse, permet d’étudier les données des communautés de communes et d’agglomération concernant les déchets ménagers et assimilés (DMA). Malgré un titre optimiste « le tri toujours en progression en Corse », il faut bien se rendre à l’évidence des chiffres : pas plus qu’en 2019 et qu’en 2020, il n’y a lieu de se glorifier…

 

Consulter la publication du Bilan régional 2021 des déchets ménagers  ☛  ICI

Étude des chiffres de l’année 2021

Cette analyse a pour but de mettre en perspective les données et de permettre aux communautés de communes et d’agglomération (EPCI, établissements publics de coopération intercommunale) de se situer et d’apporter des améliorations au service public qui pèse lourdement sur leurs finances, sur celles des usagers et sur l’environnement.

Remarques préliminaires

La production des déchets en 2020 a été trop impactée par le Covid pour servir de référence. Il est préférable de prendre en compte également les données de 2019 pour étudier et comparer certains critères de 2021.

Les populations retenues dans la présente étude sont celles fournies par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).  Selon l’Insee, en 2019  la population légale de résidents permanents en Corse est de 340 440 habitants.  La population DGF (Dotation Globale de Fonctionnement) prend en compte les résidents permanents, les résidents secondaires et les populations touristiques appréciées sur les capacités d’accueil ; elle est de 426 197  habitants. Les chiffres montrent un taux d’augmentation de la population DGF de 25,2% par rapport à la population légale, alors qu’en moyenne nationale ce taux est de 5,1%. Il est admis par ailleurs par l’Insee que l’augmentation de la population des résidents permanents en Corse est de 1% par an. Il est donc question ici des populations DGF (résidents permanents + résidents secondaires + touristes).

Les gisements de déchets analysés sont les déchets ménagers et assimilés (DMA), c’est à dire les déchets recyclables ou non, produits par les ménages et certains acteurs économiques, commerces, administrations. Ils sont obligatoirement gérés par le Service Public de Gestion des Déchets (SPGD). Cette gestion implique l’organisation de la collecte par les communautés de communes et d’agglomération, ainsi que la mise en place d’un service de déchèteries où sont apportés les déchets encombrants, toxiques, déchets verts  d’entretien de jardins, etc.

La majorité des communes a délégué la compétence du traitement des résiduels et de la valorisation des recyclables au Syvadec, Syndicat de Valorisation des Déchets de la Corse.

 

  • Production de Déchets Ménagers et Assimilés (DMA)

Le bilan régional du Syvadec indique une production totale de 243 933 tonnes de DMA en 2021. L’augmentation du total des tonnages de DMA entre 2019 (241 496 tonnes) et 2021 est de 1%, en grande partie en lien avec l’augmentation de la démographie.

Ce graphique montre qu’il n’y a pas d’augmentation importante de la production des déchets, contrairement aux conclusions du bilan du syndicat, qui met en avant une augmentation de 8% par rapport à 2020. Mais il met en évidence que la part du tri reste extrêmement faible sur les 3 années et que la quantité des biodéchets compostés est insignifiante.

 

  • Production par habitant

Le bilan de l’Observatoire des déchet ménagers de Corse, ODEME Corsica  (émanation du Syvadec) indique : « La production par habitant est supérieure de 36 % en Corse par rapport à la moyenne nationale, établie à 529 kg/an/habitant. »  

Il n’est pas cohérent de comparer des ratios en ne retenant pas les mêmes dénominateurs. Les populations à retenir pour les études comparatives sont les populations DGF (Dotation Globale de Fonctionnement) car elles prennent en compte les populations légales (résidents permanents) dites aussi populations Insee, les populations des résidences secondaires appréciées sur une capacité moyenne des logements et les populations touristiques, calculées selon les capacités d’accueil.

Sur la base d’une augmentation de la population DGF de 1% par an en Corse, la production moyenne de DMA est de 561kg kg par habitant en 2021. C’est une baisse de 5kg par rapport à 2019 (566 kg), soit -0,8%.

Cette production de 561 kg n’est que de 11% supérieure au ratio national de 506 kg/habitant DGF (+55kg)D’où l’intérêt de répartir la production de déchets sur l’ensemble de la population DGF et non sur les seuls résidents permanents pour la comparer à celle de la moyenne française. Cette présentation invalide celle de l’ODEME, qui avance : « une production de 721 kg par habitant » et « une augmentation supérieure de 36 % en Corse par rapport à la moyenne nationale, établie à 529 kg/an/habitant. » Dans quel but ?  Est-ce pour imposer des solutions industrielles au détriment d’un tri à la source poussé et de la réduction des déchets ? Les projets d’usines de surtri sur ordures brutes surdimensionnées, qui génèrent le recours à d’autres usines de fabrication de combustibles solides de récupération (CSR), puis à l’implantation de chaudières (incinérateurs déguisés) risquent d’impacter durablement les coûts et l’implication de la Corse vers une politique vertueuse de gestion et de réduction de ses déchets. Ces solutions industrielles nécessitent une quantité de déchets importante pour assurer leur rentabilité. De tels investissements sur 20 ou 30 ans génèrent des coûts de fonctionnement (entretien, réparation) incompatibles avec la réduction.

Le bilan régional indique aussi : « Cet écart est lié au tourisme, le ratio de production étant calculé par habitant permanent ». La présente étude montre qu’il n’y a pas d’influence systématique de la typologie touristique, liée à la variation de la Dotation Globale de Fonctionnement de chaque collectivité sur la production en kilos de déchets par habitant.

En effet Sud Corse produit le poids de déchets le plus important, 833 kg par habitant (question des gravats ?), avec une même variation de population DGF que l’Oriente, intercommunalité la moins productrice, 350 kg. L’explication est-elle à rechercher dans la gestion des tonnage ?

La variation des populations DGF (Dotation globale de fonctionnement) passe de +1,2% (Marana-Golo) à +96% (Spelunca-Liamone), avec une moyenne en Corse de +25,2% (moyenne nationale française de +5,1%).

Les données statistiques recueillies pour ce graphique montrent que les 3 collectivités urbanisées les plus peuplées que sont la CAB (agglo Bastia), la CAPA (agglo ajaccienne) et Marana Golo, peu impactées par la variation, ont un poids de déchets par habitant au dessus de la moyenne. Ce constat met en évidence que la population touristique n’est pas systématiquement à l’origine du poids des déchets produits par habitant DGF, mais il interroge sur les modes de consommation -peut-être différents en milieu urbain-, qui ont un impact direct sur ce que l’on jette.

 

Il est urgent de mettre en œuvre les politiques de prévention et de réduction en application des lois LETCV 2015  et AGEC 2020, sur toute la région Corse et en particulier en zones urbaines

 

  • Ventilation des DMA entre ceux qui font l’objet de la collecte et ceux apportés en déchèterie (nommé recyclerie dans le bilan de l’ODEME)

Le total des DMA est réparti d’une part entre ceux recueillis par les collectes séparées des déchets triés recyclables + la collecte des déchets non triés (OMR, Ordures Ménagères Résiduelles) à hauteur de 71.7% et d’autre part ceux apportés en déchèteries à hauteur de 28,3%.

Le terme de recyclerie utilisé par le Syvadec depuis sa création est inadapté. En effet on ne recycle pas dans une déchèterie ; c’est un lieu de transit de déchets, qui seront ensuite envoyés vers des filières de recyclages sur le continent ou vers les sites d’enfouissement.

Le ratio collecte/DMA est relativement stable : + 6% par rapport à 2019 (71%).

 

  • Évolution du tri global (collectes + apports en déchèterie)  entre 2019, 2020 et 2021

Le bilan du Syvadec annonce qu’en 2021 « le tri est toujours en progression en Corse ». Ce n’est pas faux, mais quelle lenteur… Il augmente très légèrement : +1,2% par rapport à 2020 et +1,85% par rapport à 2019. Le chiffre du compostage à domicile, inclus dans le taux de tri n’est qu’une estimation basée sur le nombre de composteurs individuels distribués ou des composteurs partagés installés, qui ne font pas l’objet d’accompagnement ni de suivi auprès des usagers, mais de simples sondages.

Le taux de tri global pourrait considérablement et rapidement augmenter si le tri à la source des biodéchets était organisé.

Dans ce graphique les collectivités sont classées dans l’ordre décroissant des taux de tri global en 2021 (colonne jaune). En général au sein des collectivités les évolutions de performances de tri global sont très lentes, sauf Celavu-Prunelli et dans une moindre mesure Oriente. Calvi-Balagne avec le taux de tri le plus élevé (53 %) confirme sa progression ;  la Pieve d’Ornano montre le taux le plus faible (28%). Le taux moyen de tri global (collecte + déchèteries) est passé de 36,6 % en 2019 à 37,20 % en 2020, à 38,4 % en 2021.

La typologie touristique de chaque intercommunalité n’est pas directement corrélée aux performances de tri. Les mauvaises performances sont davantage la conséquence d’une organisation insuffisante du service public (SPGD) à disposition des usagers, qui en assurent le financement avec des disparités importantes.

C’est pour agir sur ces disparités qu’une tarification incitative est préférable, à condition d’organiser au préalable des collectes séparées au porte à porte ou en points de regroupement, avec un véritable contrôle permettant de générer la facturation. Ce mode de tarification permet à chacun de payer la gestion de ses déchets en fonction de la quantité qu’il produit, au lieu de la Taxe d’Enlèvement des Ordures Ménagères (TEOM), calculée sur la base de la moitié de la valeur locative cadastrale du logement.

  • Tri des flux recyclables de la collecte : moyenne Corse 19,6%

Les collectivités ont la charge de collecter séparément les déchets triés recyclables, produits au quotidien (collecte sélective).

Le taux de tri de la collecte (recyclables ou compostables) varie entre 41,2 % (Calvi Balagne) et 15,2 %(CAPA). La moyenne entre les collectivités de Corse se situe à 19,6 % et seules 9 communautés de communes l’ont atteinte. Le taux de progression de +1,2% peut être imputé en partie aux débuts timides sur le flux des biodéchets, soit 1,7% des déchets collectés. L’ensemble des biodéchets traités in situ (compostage à domicile) et ceux faisant l’objet de la collecte ne représentent que 3% des DMA répertoriés par l’Observatoire ODEM de Corse. Pourtant ces déchets humides constituent le tiers au moins du poids des déchets ménagers. Leur tri à la source pour le traitement le plus simple par compostage génère des économies et un retour au sol de la matière organique, dont notre agriculture a besoin.

La performance de tri au sein des collectes est toujours très faible et ne progresse pas à la hauteur des attentes de la population, malgré les affirmations positives du bilan régional. Elle démontre s’il en était encore besoin que l’organisation de la collecte par bacs ou bornes, en Points d’Apport Volontaire (PAV) sans aucun contrôle, reste inefficace malgré leur augmentation.

En d’autres termes, en 2021 la grande majorité des déchets collectés, soit 80,4 % sont jetés en mélange par les usagers et transportés pour enfouissement, faute de sensibilisation de la population (confortant l’incivisme) et d’une bonne organisation pour faciliter et inciter au tri en amont, selon les méthodes Zero Waste.

Cette stratégie a été largement développée par différents intervenants invités en Corse, notamment Jacques Muller, ancien sénateur du Haut-Rhin, Rossano Ercolini de Capannori, président de Zero Waste Italie et de Zero Waste Europe, le Dr Paul Connet, professeur émérite de chimie environnementale de l’Université de New York. Les nombreux retours d’expérience sont avérés. Calvi-Balagne, la communauté de communes pionnière sert de référence pour la Corse.

Le faible taux de tri justifie la nécessité de mettre en place d’urgence la collecte contrôlée (porte à porte ou points de regroupement) incluant le tri à la source des biodéchets et la tarification incitative, seuls moyens pour agir sur la qualité du tri et pour infléchir la production des déchets.

Grâce à l’évolution législative récente, les biodéchets doivent faire l’objet d’un tri généralisé à la source d’ici fin décembre 2023, en application des dispositions de la Loi du 10 février 2020.

Voir Dossier Ademe (Agence de la Transition Ecologique) novembre 2021  et aussi Chiffres-clé Économie circulaire  ☛ ICI

  • Tri des flux de recyclables au sein des déchèteries

Ce sont des déchets occasionnels. La part des tonnages de DMA qui transitent par les déchèteries est de 28,3%. Le taux de tri reste à un bon niveau à 86%, sans doute lié à l’acte volontaire des apporteurs et au contrôle réel ou appréhendé. Il progresse en moyenne de +2.1% par rapport à 2020 et de +4% par rapport à 2019.

Les collectivités sont classées par ordre décroissant du taux de tri (colonne jaune). On n’observe pas d’influence de la typologie touristique.

  • Les DMA résiduels

Ce sont 150 187 tonnes au total, constituées des Ordures Ménagères Résiduelles (OMR) collectées en mélange (140 602 tonnes) et du tout-venant de déchèteries non valorisables (9 587 tonnes). Elles sont transportées à l’enfouissement, à un coût financier et environnemental catastrophique.

Les déchets résiduels ne diminuent que de -2% par rapport à 2019 et continuent à exposer la Corse à de nouvelles crises de déchets.

A l’instar de la Sardaigne, seule une volonté politique forte à chaque niveau de décision permettra d’améliorer les résultats. En quelques années « l’île sœur » a atteint la seconde place des régions d’Italie en 2020 avec un taux de 74,5 % de tri par une population de près de 5 fois supérieure à celle de la Corse.  Avec un taux de collecte séparée de 19,6 %, notre île n’atteint même pas le taux de collecte séparée de la Sicile (42,3 % en 2020), le plus bas de l’Italie.

 

 


Pour mémoire, études précédentes

Lire l’article de Corse Net Infos Déchets en Corse : Zeru Frazu dénonce le bilan « peu glorieux » du Syvadec, par Julia Sereni,  20 avril 2022  ICI

Vous aimerez aussi...