Enquête publique ouverte sur le Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets de Corse

Le Plan Territorial est la loi pour la Corse en matière de prévention et de gestion des déchets(PTPGD). Il est actuellement à l’enquête publique, avant le vote à l’assemblée de Corse en 2024. C’est une étape cruciale du dossier des déchets, car il permet à la population de contribuer à cette enquête. Cette version du Plan fait suite au projet précédent, retoqué en 2021 par le Préfet. Il n’y a pas dans ce nouveau projet de modification significative et, partant, il est à revoir d’emblée.

La nouvelle coordination Corsica Pulita, dont fait partie l’associu Zeru Frazu, appelle les citoyens concernés à participer à l’enquête publique en adressant des observations à la Présidente de la Commission d’enquête, après avoir pris connaissance des éléments d’analyse du Plan et des projets qui pourront en découler.

Voir les observations de l’associu Zeru Frazu ci-après
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Accès direct au Registre dématérialisé

Le site de Corsica Pulita permet de s'informer et d'accéder au lien du Registre dématérialisé ouvert du 23 octobre au 24 novembre 2023.

Les associations de protection de l’environnement et de la santé ainsi que des collectifs anti-mafia membres de Corsica Pulita sont cosignataires  de la lettre ouverte adressée au Président du Conseil Exécutif et à tous les Conseillers exécutifs et territoriaux, reproduite en fin d’article avec la liste des membres de la coordination. Elle fait a l’objet d’une conférence de presse tenue le 28 octobre 2023 à Ajaccio devant la Collectivité de Corse.

L’Associu Zeru Frazu a émis des observations complémentaires
sur le projet de Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets de Corse (PTPGD)

Pour Zeru Frazu, la relecture des 616 pages de la version du Plan soumise à enquête ne lève pas les réserves que nous avions émises antérieurement. Elles portaient en particulier sur le non respect de la hiérarchie des modes de traitement, les projets d’usines de sur-tri des ordures résiduelles, la filière des combustibles solides (CSR), les coûts d’investissements et de fonctionnement.

Ce nouveau projet de plan reprend les dates « légales » à 6 ans (2027) et 12 ans (2033), comme s’il avait été validé en 2021 alors qu’il ne le sera pas avant 2024.  On note déjà un décalage dans le temps induisant une réduction opérationnelle de trois années, car nous clôturerons sous deux mois l’exercice 2023. Par conséquent, ce décalage implique que les objectifs de réduction des déchets proposés (à 6 ans) dans le plan sont déjà obsolètes.

De plus cette nouvelle version du Plan s’appuie toujours sur les chiffres du bilan des déchets de l’exercice 2018, comme le projet précédent, alors que les chiffres de l’exercice 2022 ont été publiés en 2023 et analysés, notamment par nos soins (Cf. tableau infra), avec les conclusions qui s’imposent : en Corse le tri des déchets ménagers recyclables et compostables n’avance pas. On peut s’interroger sur les nombreuses raisons, développées en partie concernant :

La gouvernance

Nous ne trouvons pas dans ce document de propositions pour une structure, qui permettrait un pilotage opérationnel du Plan par la Collectivité de Corse, via l’Office de l’Environnement (OEC), c’est à dire un véritable outil de suivi et d’animation de la politique régionale en matière de gestion des déchets en amont. L’atteinte et le respect des objectifs du Plan doivent s’imposer aux 19 intercommunalités du territoire. Un réel pilotage régional présenterait l’immense avantage, sur un plan financier entre autres, de réduire l’inflation des études préalables. Elles sont exigées, pour obtenir des aides de financement de l’Ademe et de l’OEC, pour chaque EPCI individuellement. Des études unifiées pour les établissements publics de même nature, selon la typologie ADEME, apporteraient de la cohérence sur notre territoire insulaire. Ce gaspillage de fonds publics allonge considérablement les délais de réalisation. Le Plan évoque tout au plus une structure permettant à la CdC (OEC) d’être acteur, avec d’autres partenaires (SYVADEC, Privé) sur le seul secteur du traitement des déchets, donc en aval.

Par ailleurs le Plan préconise d’« encourager » les PLDMA (Programmes Locaux de Prévention des Déchets Ménagers et Assimilés), « sous-plans » en quelque sorte, pour les collectivités locales. Là aussi il ne s’agit pas de les encourager mais de les obliger en les aidant, à créer leur propre PLPDMA en cohérence avec tout le territoire.

Pour organiser en amont, optimiser et chapeauter le travail de prévention, réduction, collecte et transports jusqu’aux entrées de la phase de traitement, une vraie gouvernance s’impose afin d’assurer l’efficience du Plan. C’est le cas du Plan régional de l’île de Sardaigne, qui s’appuie sur un système de récompense/pénalisation entre les communes, avec un soutien économique de la région, clé de voute du développement de la collecte séparée, dont les taux à atteindre sont révisés en fonction du bilan annuel.
A défaut, ce nouveau Plan risque fort de rester un registre de bonnes intentions, comme les plans précédents.

Bases des calculs

Le Plan traite parfois indifféremment les chiffres de Population INSEE (résidents à l’année) et ceux des Populations DGF (intégrant les touristes saisonniers). La Corse, très touristique, a un ratio très fort de chiffre de population DGF/INSEE. La population DGF de l’ensemble français n’apparait nulle part, ce qui empêche de comparer ce qui est comparable. L’étude du bilan de la gestion des déchets de l’exercice 2022 montre que c’est essentiellement la volonté politique au sein de chaque communauté de commune qui apporte les meilleurs résultats. Certains EPCI (Établissement Publics de coopération intercommunale) à fort ratio de population DGF/INSEE (très touristiques) ont des performances de tri meilleures que d’autres à taux faible, et ce malgré leur faible densité de population.
Ce point plaide également pour un pilotage contraignant par la CdC de la politique de gestion des déchets de chaque EPCI.

La filière CSR ne respecte pas la Hiérarchie des modes de traitement, ni les Bases de l’économie circulaire

Le Plan évoque à plusieurs reprises la fabrication des CSR (Combustibles Solides de Récupération) pour une valorisation énergétique. Il liste clairement les incertitudes de leur pertinence (Calibrage de l’installation, Débouchés d’utilisation, Dangers de pollutions, Mesures de l’importance des transports vers les utilisateurs…), mais il cite par ailleurs les projets en cours destinés à produire des CSR : le Centre de Traitement et de Valorisation (CTV) de Monte pour le Grand Bastia, dont l’étude est quasiment achevée par le Syvadec, et le projet d’une même structure pour la CAPA en région ajaccienne. La superposition de ces deux faits traduit une totale contradiction.

Le Plan de la Collectivité de Corse, tout comme l’État, s’appuient sur le Code de l’Environnement pour justifier la nécessité de brûler 70 % des déchets qui n’ont pas fait l’objet de valorisation matière en l’état des techniques disponibles. C’est faire l’impasse sur la valorisation matière des déchets alimentaires et de jardin, qui représentent un tiers du poids des déchets ménagers et assimilés, et dont les techniques de valorisation organique sont parfaitement connues depuis longtemps (compostage, méthanisation) et disponibles ! La Loi Agec du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire oblige au 1er janvier 2024 au tri à la source des biodéchets, afin de les détourner des résiduels. A travers les projets permis et annoncés par le Plan, les biodéchets seront en grande partie détruits (Cf. article CTV du Grand Bastia).

Il n’en reste pas moins que les biodéchets triés en amont chez leurs producteurs, particuliers et professionnels, sont une ressource locale. Ils constituent la principale valorisation matière réalisable en Corse de façon décentralisée pour un retour à la terre de la matière organique. C’est précisément l’un des enjeux importants de l’économie circulaire, inclus dans le Plan sous la dénomination Plan Territorial d’Actions en faveur de l’Économe Circulaire.

Extrait du Plan page 291 : « Dans le contexte insulaire corse, les enjeux du déploiement de l’économie circulaire sont d’autant plus prégnants. Le renforcement de telles pratiques permettrait à la fois de contenir les coûts en utilisant des ressources locales, mais aussi de créer une réelle économie locale, sur le plan des emplois et de valeurs ajoutées territoriales, vecteur de formation tout en limitant les besoins en installations de gestion des déchets« .
C’est bien dit…, mais au conditionnel ! Pourtant cela concerne directement les biodéchets, sauf que par ailleurs dans le Plan, les collectivités sont invitées à « identifier la faisabilité de la mutualisation des collectes de biodéchets ».
Citons l’implication de l’Italie, qui par anticipation sur les préconisations de la directive européenne, couvrait déjà fin 2021 80 % de sa population par une collecte des déchets humides, rendue obligatoire dans tout le pays dès janvier 2022. Et une fois de plus l’exemple de l’île de Sardaigne, classée 2e région en termes de performance de collectes séparées, grâce à la seule volonté politique régionale.

A la lumière des dérives qu’elle induit, nous sommes formellement opposés à la priorité faite à la filière CSR, car elle conduit à l’aberration de brûler un maximum de matières recyclables et compostables, qui sont des ressources. Elle ne respecte pas la hiérarchie des modes de traitement, socle juridique de la gestion des déchets. C’est prendre les problèmes à l’envers que de prévoir des usines qui seraient opérationnelles en 2027 (à condition qu’il n’y ait aucun retard) pour traiter des tonnages de déchets résiduels non triés, dont on n’envisage pas la réduction. L’urgence est à la prévention, premier objet du Plan, et au déploiement d’une organisation efficace pour la gestion de tous les types de déchets en mettant la priorité sur la valorisation matière, y compris pour des déchets du bâtiment. C’est le meilleur moyen de réduire le recours à l’enfouissement, dont les sites manquent cruellement.

Absence de mesures pour mettre en œuvre un mode de Gestion Zéro Déchet

La Gestion Zero Déchet s’appuie sur 3 leviers puissants : Réduction à la source des déchets, Contrôle du Tri donc de la pureté des Flux collectés, Tarification Incitative, qui fait payer au producteur le juste prix de sa production de déchets. Il en va du respect de la Hiérarchie des Méthodes.

Le Plan ne rend pas strictement prioritaire la Gestion Zero Déchet pour améliorer rapidement et fortement le TRI avant d’envisager, sur des tonnages constatés, la pertinence et l’évaluation des calibrages de procédés industriels des traitements d’aval.

La gestion des recyclables

Le Plan ne précise pas la pertinence financière et écologique sur laquelle reposent les projets de pré-tri des Flux de recyclables Collectés dont la plupart partent bruts sur le continent. Les coûts d’investissement et de fonctionnement de telles installations sont extrêmement élevés et interrogent sur leur rentabilité.

Le Plan ne pose pas le principe de l’étude d’un rapprochement géographique des transports, Pré-Tri, Valorisation Matière des flux, avec la Sardaigne ou le continent italien entre autres, pour réduire les effets de seuils financiers des procédés de traitement.

Les Déchets Ménagers et Assimilés (DMA)

Notons d’emblée (hors Plan) une amélioration entre 2018 et 2022, selon les chiffres publiés par l’Observatoire des Déchets Ménagers de Corse ODEM, avec toutefois une quasi-stagnation au cours de la dernière période 2021-2022, alors que l’on pouvait espérer, dans une dynamique vertueuse, une progression notable.

L’exercice 2022 est marqué par un Taux Global de Tri de 40% environ. Il se ventile entre le Tri en Déchèterie de 93,5% (apport volontaire du producteur de déchets occasionnels encombrants ou toxiques), mais surtout un taux de Tri de seulement de 20,6% des matières recyclables et compostables (triées au quotidien par les ménages, la restauration, les petits commerces), qui font l’objet des collectes séparées.
Les déchets qui font l’objet d’une collecte représentent au total 74,6% de tous les DMA, en cumulant le poids des déchets triés et celui des déchets non triés dans les sacs noirs. C’est donc bien sur le secteur de l’organisation du tri à la source de tous les flux, des collectes sélectives et du contrôle qu’il faut impérativement faire porter l’effort des EPCI (Com Com), puisque près de 80 % de ce qui est collecté est en mélange.

Par ailleurs, la part moyenne des biodéchets étant de 25% du poids des déchets ménagers et assimilés, leur tri (qui stagne à 2 % du poids des recyclables en 2022) aurait déjà permis potentiellement d’atteindre un taux de 65% de Tri des DMA (recyclables 40% + biodéchets 25%). Les déchets organiques pèsent beaucoup plus lourd que les emballages. Le compostage en habitat rural et/ou dispersé doit être pratiqué in situ, mais partout ailleurs il est nécessaire de détourner les biodéchets par une collecte dédiée pour alimenter une vraie filière.

Le Plan propose dans l’action « Ambition Volontariste » d’atteindre en 2027, terme des 6 ans théorique, un taux de tri de 64% dont 7,1% de biodéchets. Or avec un tri à 40% (taux obtenu en 2022) et un potentiel de 25% de biodéchets à incorporer progressivement à partir de début 2024, il est possible d’atteindre 65 % de Tri facilement et rapidement. A condition de mettre en place les moyens nécessaires, simples et moins coûteux en investissement et en fonctionnement, que certains procédés industriels.

Le Plan propose aussi en 2033, au terme théorique des 12 ans, un taux de tri de 65,4% dont 8,6% de biodéchets. La marge de progression en 6 ans est absolument ridicule. Le qualificatif d’ambition « volontariste » n’en a que le nom. La volonté sous-jacente n’est-elle pas plutôt de bloquer toute mise en œuvre d’une gestion Zéro Déchet, afin de conserver le gisement des résiduels actuels, pour justifier les installations industrielles de traitement en aval de ces collectes de piètre qualité ?
Le Plan doit se donner les moyens d’opérer une véritable bascule vers la valorisation matière des déchets.

Les déchets du Bâtiment et Travaux Publics (BTP)

Aux dires même de ce Plan, les chiffres de tonnages des déchets du bâtiment pourraient varier de 1 à 3, c’est à dire jusqu’à 3 fois plus que les Déchets Ménagers Assimilés. C’est le secteur qui produit le plus de déchets après les Déchets Ménagers et Assimilés et les Déchets d’Activité Économique (DAE), dont les tonnages sont proches. Il est impossible dans ces conditions de proposer des calibrages pour des procédures et installations industrielles. La priorité est l’obtention de la connaissance du gisement de déchets du BTP.

Absence de mesures pour une transparence des coûts

Tous les moyens pour réaliser des économies sur les coûts de gestion des déchets doivent être une des priorités du Plan. Les coûts de fonctionnement des futures usines viendront s’ajouter à ceux existants, sans réduire les transports, sans prendre en compte ceux de la gestion des résidus de la combustion, qui ne sont pas évoqués.
Au delà, il est également nécessaire de sensibiliser sur les coûts dits cachés. En effet les déchets sont un des facteurs participant à la Crise Climatique, à la Chute de la Biodiversité, à la Pollution de l’Air, des Sols, de l’Eau. Pour responsabiliser les producteurs de déchets, il est important que chacun, personne physique ou morale, puisse connaître l’impact et le juste coût financier de sa production. Les notions de « sac à dos écologique« , de préservation des ressources, de santé publique sont incontournables.

Précédentes publications de Zeru Frazu concernant le Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets de Corse

18.12.2020  Plan Déchets de la Corse : faux pas ou fausse route ?

23.02.2021  Nouveau rapport sur le PTPGD : ce n’est pas un faux pas, mais hélas la confirmation d’une fausse route

30.03.2021  Après le vote du 26 février 2021 - Retour sur la délibération votée par l’Assemblée de Corse

LIRE AUSSI :  18.08.2023   CTV du Grand Bastia : que deviendront nos déchets ?
En conclusion

Pourquoi ce nouveau Plan Territorial de Prévention et de Gestion des Déchets de Corse ne répond pas aux attentes ?

  • Les mesures pour la réduction des déchets en amont ne sont pas la priorité
  • Les objectifs de réduction de déchets sont très peu ambitieux (basés sur les chiffres de 2018)
  • Le pilotage opérationnel du Plan par la Collectivité de Corse est complètement absent pour son application sur le terrain
  • Les impacts économiques sont totalement opaques (notamment l’impact sur la Taxe Enlèvement des Ordures Ménagères)
  • La production massive de CSR détourne la réglementation sur la hiérarchie des modes de traitement des déchets, qui doit privilégier la valorisation matière par rapport à la valorisation énergétique
  • Les problèmes environnementaux, sanitaires et économiques liés à la combustion des CSR et aux transports ne sont pas pris en compte
  • Le Plan permet tous les projets industriels de traitement des déchets en aval, inutiles et dangereux, au détriment des actions permettant d’amener la Corse vers les solutions efficaces et éprouvées sur d’autres territoires.
  • A l’heure des crises mondiales climatiques, économiques et humaines, la mauvaise utilisation de l’argent public, encouragée par le Plan et les financements de l’État, est délétère. Les solutions technologiques, même les plus sophistiquées, sont de mauvaises solutions, car elles vont à l’encontre de la nécessité de préserver les ressources et de limiter les pollutions.

Chacun d’entre nous peut et doit participer à l’enquête publique jusqu’au 24 novembre, en déposant une contribution, même brève sur le registre dématérialisé en ligne ou sur les registres papier disponibles à l’Office de l’environnement, ainsi que dans les mairies d’Ajaccio, Ile Rousse, Bastia, Corte, Porto Vecchio. Les membres de la commission d’enquête tiennent des permanences certains jours dans ces mairies pour recevoir le public.
Plus d’informations en cliquant sur Corsica Pulita et sur le Registre dématérialisé.

 

 

Corsica Pulita, 28.10.2023 : Lettre ouverte au Conseil Exécutif et à l’Assemblée de Corse – Retrait du Plan Déchets !

M. le Président du Conseil Exécutif,
Mesdames et Messieurs les Conseillers Exécutifs, Mesdames et Messieurs les Conseillers Territoriaux,

Nous, associations citoyennes et de défense de l’environnement, collectifs anti-mafia, réunis au sein de la coordination “Corsica Pulita”, demandons solennellement à l’Exécutif de retirer le Plan Déchets (PTPGD) mis à l’enquête publique le 23 octobre 2023 et aux Conseillers Territoriaux de ne pas le valider. L’application de ce plan ne résoudrait en rien la crise des déchets. Pire, il conduirait à un gouffre financier, à une impasse juridiqueà des problèmes sanitaires et environnementaux majeurs et serait une aubaine pour les groupes mafieux.

Tout d’abord, le choix de la filière Combustible Solide de Récupération (CSR) est une aberration contraire aux obligations de réduction des déchets. Les CSR sont conçus à partir de déchets n’ayant pas pu être préalablement triés à la source ou envoyés dans une usine de recyclage (bois, emballages, cartons, mousses…). Leur fabrication nécessite un “centre de tri et de valorisation”. Ils sont ensuite incinérés dans des unités de valorisation énergétique, surnommées “Chaudières”, censées produire de l’énergie et de la chaleur, et source de pollution.

Les CSR signent donc l’abandon du tri généralisé à la source et le retour de l’incinérateur. Ce choix est incompréhensible, injustifié et dangereux.

Incompréhensible car le Président du Conseil Exécutif lui-même s’est exprimé à plusieurs reprises contre cette option, notamment dans un rapport de 2018 : “Créant un nouveau déchet à stocker, la pertinence environnementale et économique des CSR n’est pas établie. (…) Au moment où nous nous engageons à ne stocker que des déchets ultimes à l’impact « neutre », il serait paradoxal de s’engager dans cette voie qui implique le stockage de déchets dangereux.” Pourquoi un tel revirement ?

Injustifié car la filière CSR est particulièrement inefficace. Une grande partie des CSR fabriqués en France ne trouvent pas de chaudières pour être incinérés… et sont donc enfouis ! De plus, cette filière consommera l’essentiel des fonds publics dédiés aux déchets : 45 millions d’euros par site pour fabriquer des CSR, 119 M pour chaque chaufferie destinée aux CSR issus de déchets d’activités économiques et du BTP, 50 M pour une chaufferie à CSR produits à partir de déchets ménagers et assimilés… Ces montants ne sont pas expliqués par le Plan. Ce gouffre financier aura un impact certain sur les taxes et prélèvements déjà élevées payés par les Corses. Or, la “valorisation énergétique” des déchets n’est permise par la loi qu’en dernier recours, à condition d’avoir tout déployé au préalable pour la prévention, le tri à la source et l’économie circulaire. Le choix de la filière CSR contrevient donc manifestement à la hiérarchie des modes de traitement des déchets. Le Plan révèle de nombreuses contradictions. En effet, tout en se référant aux textes, il permet de laisser prospérer des solutions de traitement qui ne les respecteront pas.

Dangereux enfin car l’impact environnemental et sanitaire de ce mode de traitement polluant n’est pas (ou très vaguement) abordé par le Plan. Rien n’est prévu par exemple pour les résidus nocifs résultant de l’incinération, ce qui est contraire au principe légal d’autosuffisance qui impose de prévoir un réseau intégré et adéquat d’installations d’élimination des déchets ultimes. Les mâchefers (imbrûlés, incombustibles, cendres) et les résidus d’épuration des fumées (REFIOM) constituent pourtant de 23 à 28 % du tonnage entrant à l’incinération ! Ces derniers, classés “dangereux”, nécessitent des infrastructures onéreuses que le Plan ne prévoit pas.

Par ailleurs, de nombreuses données chiffrées fournies par ce Plan sont imprécises, inexistantes ou trompeuses, ce qui a de graves conséquences juridiques, financières et environnementales.

Très imprécises, par exemple, les données sur la production de déchets issus du BTP : le plan reconnaît que celle-ci serait comprise « entre 227 000 et 2 900 000 tonnes » ! Cette différence est si gigantesque qu’elle empêche de donner des orientations fiables permettant d’atteindre l’objectif de valorisation matière de 70 % des déchets, comme l’exige pourtant la loi..

Inexistantes les données sur le coût du transport des déchets, bien que le plan reconnaisse qu’il “faut s’attendre à des surcoûts”. Aucune information sur ce que coûtera le transport des milliers de tonnes de CSR vers le continent en attendant de pouvoir les brûler en Corse. Idem pour les grandes quantités de résidus de l’incinération des CSR (mâchefers et REFIOM).

Trompeuses, enfin, les données sur les gisements de déchets. Nous avons repéré plusieurs “erreurs” importantes de calcul qui font que le Plan semble correspondre aux obligations légales pour le taux de valorisation matière (65 % des déchets doivent être réemployés, régénérés ou recyclés d’ici 2025) : en réalité, selon nos estimations optimistes, ce taux est de 43,1 %. Ces inexactitudes permettent aussi de justifier un recours massif aux CSR, en surestimant les quantités éligibles à ce mode de traitement. Troisième pourcentage truqué : celui du taux d’enfouissement maximal, fixé à 10 % d’ici 2035. Le Plan prétend y parvenir. Mais au mieux, ce taux atteindra 22 % ! Tous nos calculs sont présentés sur le site web de Corsica Pulita.

Le plan n’apporte donc pas une information complète et loyale qui pourrait permettre aux élus et citoyens de se prononcer en connaissance de cause.

Enfin, la gouvernance de ce plan est extrêmement opaque. La MRAE l’a souligné dans son avis du 23/09/23 : « Sans plus de précisions sur le pilotage et la coordination de ce plan d’actions, on peut identifier le risque de ne pas atteindre les objectifs dès 2027 ». Le Plan Déchets mis à enquête publique n’apporte aucune précision : il n’y a donc pas de pilote.

En théorie, le Plan doit être décidé par la CDC, qui a l’obligation de planifier la prévention et la gestion des déchets sur six ans et douze ans, en mentionnant les installations nécessaires afin d’atteindre les objectifs en matière de prévention et de valorisation. Les communes et intercommunalités doivent ensuite s’en tenir aux orientations données par la CDC.

En pratique, cette hiérarchie des compétences n’a pas été respectée. Nous n’oublions pas le rôle de l’Etat et des lobbys des déchets  – Veolia, Suez – (obligation de valorisation énergétique de 70 % des résidus non valorisés matière, mise en place de la filière CSR malgré son ineptie économique et environnementale) ; le retoquage par l’État de la version 2021 du plan ; l’inaction de certaines intercommunalités pour faire avancer le tri et la valorisation matière. Le Syvadec, courroie de transmission des lobbys, sans attendre la réalisation d’études de faisabilité, a imposé ses propres choix débouchant notamment sur la privatisation totale du centre de tri et de valorisation de Monte. En se soumettant au Syvadec, le Plan Déchets renie le vote de l’Assemblée de Corse de février 2021 pour une « gestion publique des structures de traitement des déchets ».

Cette privatisation est la porte ouverte à une infiltration mafieuse dans un secteur habituellement soumis à sa prédation.

Pour rappel, la JIRS précisait dans son rapport révélé par le journal Le Monde (2021) que “la mafia corse est associée à la gestion des déchets sur l’île.” La Cour des Comptes et l’Autorité de la concurrence ont estimé que ce secteur souffrait en Corse d’un défaut de concurrence. Au moins 11 incendies criminels ont été perpétrés dans ce secteur ces six dernières années. Au moins 4 assassinats seraient liés à la lutte pour le contrôle de ces marchés entre 2008 et 2012.

Dans ce contexte, le Plan déchets proposé à l’enquête publique n’est absolument pas acceptable. Mais ce plan serait-il un pis-aller ? Faudrait-il s’en accommoder faute d’alternatives disponibles ? Certainement pas. Une autre gestion des déchets est possible.

Pour preuve : le plan d’action voté par l’Assemblée de Corse le 16 mai 2016 prévoyait d’atteindre l’objectif de 65 % de valorisation matière grâce à un ensemble de moyens précis et peu coûteux, passant par la généralisation du tri à la source (notamment des biodéchets), l’usage de plateformes de compostage, la collecte en porte-à-porte et la gestion au plus près des lieux de production… Bien des territoires ont déjà réussi cette transformation. Les solutions techniques sont là : il n’est besoin que d’une volonté politique pour les voir aboutir.

Pour finir, il convient de noter que le Plan Déchets dont nous demandons le retrait comporte tant d’approximations et d’erreurs que le tribunal administratif n’hésiterait pas à l’annuler, comme l’a été le Plan Déchets de Bretagne en septembre. Il vous appartient donc d’éviter à la Corse d’attendre à nouveau pour que soient adoptées de véritables solutions au problème des déchets.

La CDC peut encore décider d’une gestion des déchets publique, économe et responsable… comme de tenir compte des préconisations énoncées dans les avis et la contribution pour une gestion vertueuse et pratique des déchets “femu altrimente” du CESEC, qui représente la société civile.

Sete sempre in tempu di cambià di strada. Ùn tricate micca semu in li pinseri !

Coordination Corsica Pulita. 28.10.2023

Membres signataires :

  • ABCDE
  • ADN PASSPARTOU
  • A Sentinella
  • A Spiriata
  • Avvene Ghjustu è Resiliente
  • Cullettivu A Maffia No A Vita Iè
  • Cullittivu Massimu Susini
  • Global Earth Keeper
  • La Plateforme Citoyenne de Corse
  • La Ligue contre le cancer
  • Le Garde
  • Pumonte Pulitu
  • Si pò fà
  • U Levante
  • Zeru Frazu

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